Pour sa 20e édition, du 12 au 25 août, le festival itinérant Parfum de jazz s’est donné, première en France et probablement en Europe, un programme délibérément féminin : Ladies in Jazz. Dans quinze communes des Baronnies, du Tricastin et de la Drôme provençale (Buis-les-Baronnies, Pierrelatte, Saint-Paul-Trois-Châteaux…), des concerts gratuits sur les places de villages, des soirées de prestige aux prix très étudiés, une équipe de bénévoles particulièrement engagés, et Alain Brunet pour président, soit une personnalité peu commune.

Né en 1947, trompettiste reconnu, Alain Brunet a été ce qu’on appelle « un grand serviteur de l’Etat » : inspecteur de l’enseignement, sous-préfet, chef de cabinet de Jack Lang lorsqu’il était ministre de la culture et de l’éducation nationale, il a fait valoir ses droits à la retraite en mars 2012. Sans jamais ou presque (l’époque Lang) lâcher la trompette que son père lui avait remise.

Sur scène ou sur disques, il a côtoyé de grands musiciens – Manuel Villarroel, Daniel Humair, Henri Texier, René Urtreger, Didier Lockwood, Olivier Hutman, Michel Legrand –, et prépare un nouveau CD avec le groupe Akpé Motion. Créateur du département jazz du conservatoire de Romans, il dirige, jusqu’en 1984, le grand orchestre de la Drôme avec, au piano, Michel Petrucciani.

Premier rôle pour les femmes

Cette 20e édition de Parfum de jazz lui doit beaucoup de souffle. Tous les festivals, signe des temps, font valoir la présence des musiciennes et chanteuses dans leurs programmes. Parfum de jazz leur donne le premier rôle. Entre Billie For Ever, film de Frank Cassenti, et les propos de Jean-Paul Boutellier, inventeur de Jazz à Vienne, collectionneur très écouté.

Sur scène, Julie Saury (batteuse), Céline Bonacina (baryton sax), Sylvia Howard, Michele Hendricks, Lisa Simone, Camille Bertault (voix), Airelle Besson (trompette), Géraldine Laurent (ténor sax). Plus Rhoda Scott et son Lady Quartet avec Sophie Alour et Lisa Cat-Berro (sax).

Final impressionnant, le samedi 25 août, avec repli (le mistral, toutes joues gonflées) dans la salle polyvalente de Saint-Paul-Trois-Châteaux, parfaitement équipée (acoustique, lumières). Chanteuse clef des représentations de l’album Attica Blues, Marion Rampal invite à son tour le compositeur et conducteur de l’œuvre : M. Archie Shepp.

Marion Rampal, à la forte présence en scène, offre la preuve d’un vrai style poétique

Marion Rampal, à la forte présence en scène, offre dans ses premières chansons la preuve d’un vrai style : poétique, thématique et porté par ses rencontres musicales (Afrique, New York, La Nouvelle-Orléans). Son album Main Blue (2016, L’Autre Distribution) en témoigne.

Aux claviers – mélodica compris, lors de l’évocation de la musique cajun, Pierre-François Blanchard ; et à la batterie, la formidable Anne Paceo, devenue musicienne par pur amour du jazz, et douée d’une technique de big band. Swing et force de frappe inclus. Sourire de la joie de jouer, chignon très classe et lunettes toute rondes, elle est l’une des musiciennes les plus demandées. On peut comprendre.

Archie Shepp en « sideman »

Après cette très convaincante première partie, entrée de l’impeccable autant que modeste Darryl Hall (contrebasse), et du prince de la soirée, Archie Shepp. Lequel glisse malicieusement : « J’adore être sideman, c’est beaucoup plus reposant que leader, j’avais oublié ces sensations» Marion Rampal reprend les compositions de son sideman de luxe à Saint-Paul : pour sa mère, sa grand-mère (Mama Rose), Revolution, et cet hymne féministe sidérant, Blasé, enregistré par Jeanne Lee en 1969.

Dramaturge, poète, musicien, mais cela on le sait, Shepp joue avec une économie de gestes et de moyens parfaitement contrôlée. Ses présentations de « chansons », avec rappel historique minimaliste et usage parfait des silences, devraient inspirer les jeunes musiciens souvent patauds dans l’exercice.

Au sommet de son art, auquel il adapte génialement son âge, Shepp se laisse désormais inviter par les musiciennes qu’il a mises en piste. Excellent signe d’avenir. La première partie assurée par Marion Rampal en trio est un carnet de notes aux accents baladeurs et canailles. Avec Shepp (et Darryl Hall qui, avec sa carrière, remercie les jeunes musiciennes et s’excuse de quelques approximations…), la deuxième est d’une force impressionnante : la puissance du blues, la présence de cette plainte non plaintive, de la voix et des contrechants bouleversants de Shepp. Ravivées par le succès d’Attica Blues et les mises à jour de Marion Rampal, ses compositions sonnent avec une actualité poignante.

MARION RAMPAL (extrait) - Main Blue / JAZZ
Durée : 05:40

Sur le Web : www.parfumdejazz.com