L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

La scène d’ouverture de Sauvage agit brutalement. Surprenante et crue, dans son propos comme dans la façon dont elle est mise en scène, elle concentre en quelques minutes ce que le film va s’appliquer à prolonger en l’intensifiant, séquence après séquence. A l’image des étapes par lesquelles est passé le réalisateur, Camille Vidal-Naquet, durant le long travail de terrain qu’il a effectué pour réaliser ce premier long-métrage, descente vertigineuse dans le milieu de la prostitution masculine.

Lire l’entretien avec Camille Vidal-Naquet : « Le film est très atténué par rapport à la réalité »

Un travail qui, une fois le contact pris avec des garçons du bois de Boulogne, près de Paris, par l’intermédiaire d’une association, allait l’accaparer durant trois ans, au lieu des quelques nuits prévues. Pas moyen de faire moins, de passer vite sur ces rencontres au gré desquelles s’élaborait le scénario. Sauvage témoigne de cette immersion, dans la restitution hyperréaliste des situations et des faits, caméra à l’épaule, plans rapprochés sur les corps malades et maltraités : des partis pris qui assurent la volonté du réalisateur de transmettre, voire de partager, les effets et les sentiments qui l’ont lui-même agité.

Le passeur de l’histoire s’appelle Léo, 22 ans, gueule de poulbot buté, aux traits cabossés par une vie de chien errant à ingérer du crack et de l’alcool, à bouffer n’importe quoi, à dormir sur les trottoirs ou dans le bois périphérique de la ville où, la journée, il enchaîne les passes. Les clients sont plus ou moins réglos, plus ou moins détraqués. Un homme en fauteuil roulant qui ne parvient plus à l’érection, un couple d’homos qui prennent leur pied à l’humilier, à le contraindre à des pratiques sordides, un « veuf » qui tente de se consoler de la disparition de sa femme dans les bras d’hommes dont il espère de l’affection… se succèdent dans le déroulé indéfini des jours et des nuits de Léo. Lequel encaisse les coups et les violences sans rien laisser paraître de l’impact qu’ils ont sur lui.

Le vide d’un manque d’amour

En cela, il est « sauvage » – ce caractère qui donne son titre au film –, garçon non « élevé », grandi on ne sait où, pas de passé, pas de projet, confronté à la survie par le corps, sans engagement de la pensée et des sentiments. Du moins en apparence. C’est là que Léo trouve sa nuance, décroche notre empathie. Dans cette part inconnue qui laisse paraître, en creux, le vide d’un manque d’amour dont la manifestation surgit par élans à des moments inattendus et rares. Lors d’une visite médicale par exemple, où il pose sa tête sur l’épaule d’une doctoresse. Lors d’une passe où il offre autant au client qu’à lui-même un instant de tendresse.

Dans cette quête, le jeune homme aux allures de sale gosse n’échappe pas à cet obscur objet du désir amoureux que devient pour lui un autre prostitué, Ahd (Eric Bernard), que le tapin pousse le plus clair de son temps dans le lit des hommes mais que l’hétérosexualité fait préférer celui des femmes. Et le conduit à se dérober aux avances du jeune Léo. « Trouve-toi un vieux », lui conseille Ahd.

Le gosse s’en fout. Il continue d’aimer sans retour et de se vendre jusqu’à ce que le corps parvienne au bout de ce qu’il peut supporter. Jusqu’à ce que cette détérioration physique, à l’œuvre durant tout le film, trouve son expression finale dans un plan christique : Léo, en Sébastien martyr, criblé de plaies ensanglantées, soutenu par les bras d’un homme. Un vieux qui prendra soin de lui, lui ouvrira la voie d’une réinsertion possible : la belle énigme du film.

L’incandescence de Félix Maritaud

Présenté à Cannes (Semaine de la critique), Sauvage avait dirigé toute l’attention sur Félix Maritaud, interprète omnipotent du personnage de Léo, à qui il prête son intensité toute personnelle, acquise au long d’une jeune existence qui en rassemble mille (errances, petits boulots, excès circonscrits et rencontres providentielles). Découvert dans 120 battements par minute, de Robin Campillo, le jeune acteur apporte à Sauvage une incandescence qui met l’image à vif et retient le film au bord de l’abîme, sans l’y plonger. A l’inverse de J’embrasse pas, d’André Téchiné (1991), Sauvage ne s’expose à aucune notion de fatalité. Le versant lumineux de Léo – qui, lui, embrasse – servant de bouclier à cet écueil.

Lire la critique parue lors du Festival de Cannes : Léo, prostitué en mal d’amour

Pendant le tournage, cette capacité à brûler – « Il est une flamme au milieu des ruines », dit de lui Camille Vidal-Naquet –, cette aptitude au don de soi ont mené Félix Maritaud vers « quelques sorties de rails » qui ont eu pour effet de déstabiliser le réalisateur. « J’ai aimé ce quelque chose que possède Félix et qui ne s’apprivoise pas », confie cependant ce dernier, cette « mise en danger », selon ses propres termes, à laquelle l’acteur l’a soumis. Autant que nous.

SAUVAGE bande-annonce sortie le 29-08-2018
Durée : 01:43

Film français de Camille Vidal-Naquet. Avec Félix Maritaud, Eric Bernard, Nicolas Dibla (1 h 39). Sur le Web : distrib.pyramidefilms.com/pyramide-distribution-catalogue/sauvage.html

Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 29 août)

  • Burning, film coréen de Lee Chang-dong (à ne pas manquer)
  • De chaque instant, documentaire français de Nicolas Philibert (à ne pas manquer)
  • Sauvage, film français de Camille Vidal-Naquet (à ne pas manquer)
  • Bonhomme, film français de Marion Vernoux (à voir)
  • Guy, film français de et avec Alex Lutz (à voir)
  • Il ou elle, film américain et qatari d’Anahita Ghazvinizadeh (à voir)
  • Sollers Point, film américain et français de Matthew Porterfield (à voir)
  • 22 Miles, film américain de Peter Berg (pourquoi pas)
  • Reine d’un été, film allemand de Joya Thome (pourquoi pas)
  • Miracle à Santa Anna (2008), film américain et italien de Spike Lee (inédit)

A l’affiche également :

  • Braqueurs d’élite, film allemand et français de Steven Quale
  • Breaking In, film américain de James McTeigue
  • Kin : le commencement, film américain de Jonathan et Josh Baker