Editorial du « Monde ». C’était il y a un an. Candidate à un quatrième mandat de chancelière, Angela Merkel s’était lancée dans une campagne minimale, confortée par des sondages lui prédisant une victoire confortable aux élections législatives du 24 septembre 2017. « Pour une Allemagne où il fait bon vivre », pouvait-on lire sur ses affiches. Aucune réforme ambitieuse au programme. Juste la promesse d’un avenir tranquille dans un pays prospère, à l’abri des tumultes du monde.

Un an plus tard, Mme Merkel est toujours au pouvoir, mais son slogan de campagne bute sur une réalité de plus en plus inquiétante, dont Chemnitz (Saxe) est aujourd’hui le symbole. Proche de la frontière tchèque, cette ville de 240 000 habitants fait la « une » de l’actualité depuis le meurtre, dimanche 26 août, d’un Allemand de 35 ans. Un crime dont sont soupçonnés deux réfugiés d’une vingtaine d’années, un Syrien et un Irakien, et à la suite duquel l’extrême droite a organisé d’importantes manifestations jalonnées de saluts hitlériens et d’agressions à l’encontre de personnes d’origine étrangère. Des manifestations dont l’ampleur a été largement sous-estimée par les autorités et que la police n’a pas su encadrer, au risque de donner le sentiment d’être dépassée par les événements.

Dans cette région de l’ex-Allemagne de l’Est, de telles démonstrations de force de la part de groupuscules d’extrême droite ne sont pas nouvelles. Plus préoccupant encore est le fait que ceux-ci aient été rejoints et soutenus par le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). Un parti qui, aux élections législatives de 2017, a remporté une centaine de sièges au Bundestag. Un parti alors arrivé en tête dans la Saxe. Un parti, enfin, dont l’un des députés, Markus Frohnmaier, bien loin de condamner les débordements de Chemnitz, les a, au contraire, légitimés. « Quand l’Etat ne peut plus protéger les citoyens, les gens vont dans la rue et se protègent eux-mêmes. C’est aussi simple que cela. Aujourd’hui, c’est un devoir citoyen que d’aller dans la rue pour faire barrage à cette immigration qui répand la mort à coups de couteau. »

Agir vite

L’AfD, aujourd’hui, semble loin du pouvoir. Dans les sondages, elle n’en est pas moins créditée de plus de 20 % des voix dans trois Länder de l’ex-Allemagne de l’Est où auront lieu des élections régionales d’ici tout juste un an. Or, face à la poussée de ce parti présent au Parlement mais qui n’hésite pas à déstabiliser les institutions démocratiques en appelant à descendre dans la rue et à faire triompher la force sur le droit, aucune figure ne semble aujourd’hui en mesure de s’imposer. Au pouvoir depuis treize ans, Mme Merkel n’est pas parvenue à enrayer sa poussée, au contraire. De leur côté, les sociaux-démocrates sont inaudibles, anémiés, à court d’idées et de leaders pour assurer une relève et incarner une alternative.

« Nous avons vu des chasses collectives, nous avons vu de la haine dans la rue, et cela n’a rien à voir avec un Etat de droit », a commenté Mme Merkel, mardi, depuis Berlin. Le diagnostic est juste, mais la chancelière ne peut se contenter de mots. Désormais son gouvernement doit agir, et vite, s’il veut montrer qu’il a vraiment la main. Pour la chancelière, l’enjeu n’est plus de promettre une Allemagne où « il fait bon vivre » mais, plus fondamentalement, d’assurer à tous ses habitants – quelles que soient leur nationalité, leur religion ou leur couleur de peau – qu’ils se trouvent dans un pays où ils n’ont pas peur de vivre.