NEW YORK, NY - AUGUST 27: Rafael Nadal of Spain serves during his men's singles first round match against David Ferrer of Spain on Day One of the 2018 US Open at the USTA Billie Jean King National Tennis Center on August 27, 2018 in the Flushing neighborhood of the Queens borough of New York City. Alex Pantling/Getty Images/AFP== FOR NEWSPAPERS, INTERNET, TELCOS & TELEVISION USE ONLY == / Alex Pantling / AFP

C’est toujours les mêmes gestes. D’abord, s’essuyer les bras et le visage avec la serviette, côté gauche puis côté droit. Toujours dans cet ordre. Faire rebondir la balle. Puis, ajuster le short, les épaules, et chasser la sueur des ailes du nez, toujours. Remettre ses cheveux derrière les oreilles. Visualiser le coup, puis à nouveau des rebonds. Cinq ou six, rarement plus. Et puis, enfin, expédier la balle dans les airs.

Qui ignore encore les rituels de Rafael Nadal avant de servir ? Ils agacent l’adversaire autant que le spectateur, mais surtout, s’éternisent de longues secondes, dépassant parfois allègrement la minute. Au deuxième tour de l’US Open contre Vasek Pospisil, mercredi soir 29 août, le numéro un mondial a été contraint malgré lui, comme au premier tour, d’écourter sa chorégraphie. Mais cela ne l’a pas empêché de s’imposer (6-3, 6-4, 6-2).

Le tournoi est le premier Grand Chelem à mettre en place le serve clock (littéralement « horloge de service »). Un petit cadran posé discrètement de chaque côté en fond de court pour contrôler le temps mis par le joueur avant de servir, à savoir, vingt-cinq secondes maximum.

L’arbitre déclenche le chronomètre immédiatement après l’annonce du point au micro. Mais désormais, il n’est plus le seul juge de paix, les spectateurs peuvent eux aussi attester que le joueur enfreint la limite de temps. En cas de dépassement, le contrevenant reçoit dans un premier temps un avertissement, puis à chaque récidive, perd automatiquement son premier service.

L’arbitre déclenche le chronomètre immédiatement après l’annonce du point au micro. Mais désormais, il n’est plus le seul juge de paix, les spectateurs peuvent eux aussi attester que le joueur enfreint la limite de temps. En cas de dépassement, le contrevenant reçoit dans un premier temps un avertissement, puis à chaque récidive, perd automatiquement son premier service. / Seth Wenig / AP

Accélérer le jeu

La mesure, qui avait déjà été testée l’an passé en qualifications à Flushing Meadows, a été appliquée lors de la tournée nord-américaine précédant le tournoi (la limite est de vingt secondes dans les tournois autres que ceux du Grand Chelem), afin que les joueurs puissent s’y accoutumer.

Elle ne devrait plus être en vigueur jusqu’à la fin de l’année mais les hautes instances du tennis réfléchissent à la généraliser dès la saison 2019. Officiellement, il s’agit d’accélérer le jeu. Officieusement, de satisfaire les diffuseurs TV et capter l’attention de téléspectateurs de moins en moins concentrés sur la seule petite lucarne.

Beaucoup y ont surtout vu une sanction contre les cumulards des « time violations ». Et contre le premier d’entre eux : Nadal. C’est donc sans surprise que le tenant du titre l’a l’accueillie avec un enthousiasme modéré. « Tout dépend de ce que veulent les fans. S’ils veulent des échanges abrégés et des joueurs sans cerveau, juste des coups frappés sans réfléchir, alors très bien », a-t-il cinglé à la veille de son entrée en lice, lui qui construit ses points avec la stratégie d’un maître d’échecs.

Avis divergents

L’Espagnol, résigné, n’y voit que des inconvénients : outre un abrutissement, la mesure conduirait à la précipitation, l’imprécision et, au bout du compte, à un jeu formaté. « Dans l’histoire du tennis, les grands matchs ne sont pas ceux qui ont duré une heure trente… Ceux dont les gens se souviennent sont épiques. Ce que je constate, c’est que le public exulte quand on a des échanges de quinze ou vingt coups. Or, après de tels rallyes, vous ne pouvez pas être physiquement prêt pour jouer un autre point comme ça en vingt-cinq secondes. »

Si l’initiative risque selon lui de nuire à la qualité du spectacle proposé aux spectateurs, Roger Federer, lui, est persuadé du contraire. En 2012, le Suisse avait égratigné son rival en critiquant sa lenteur excessive : « Je me plains rarement, mais je ne comprends pas que Rafa puisse jouer quatre heures sans prendre un seul avertissement. Les arbitres devraient être plus sévères car je crains que les fans soient frustrés s’il faut cinq minutes pour disputer cinq points. »

L’ex-patron du circuit avait épargné un autre spécialiste du genre, champion du monde du nombre de rebonds : Novak Djokovic, qui en cumule jusqu’à… une trentaine avant de servir. Le Serbe a regretté que l’US Open ait introduit la mesure sans vraiment consulter les joueurs. Mais il est convaincu que son jeu n’en sera pas affecté négativement.

« Au contraire, je pense qu’on aura en réalité encore plus de temps qu’avant car le décompte démarre après que l’arbitre de chaise a annoncé le score. Or il arrive que sur de très longs échanges ou un point de folie où le public bouillonne à la fin, il attende que ça se calme avant de parler au micro », disait-il il y a quelques semaines.

« Transparent pour tout le monde »

« Certains joueurs de tennis pensent que cela va spécifiquement à leur encontre », s’est défendu Gayle David Bradshaw, vice-président exécutif des règles et de la compétition de l’ATP il y a quelques jours. Mais ils vont s’adapter. Ce n’est pas un changement de règle, c’est juste que désormais l’écoulement est transparent pour tout le monde. »

Mais si certains jugent l’initiative salutaire pour redynamiser le jeu, d’autres y voient une pression supplémentaire. « Ça ne va pas être facile pour moi, déplore Kei Nishikori, finaliste malheureux à New York en 2014. Je ne vais plus avoir le temps de réfléchir à mon coup, et avec la chaleur, cela risque d’être encore un peu plus compliqué ».

Les températures suffocantes de ces deux derniers jours (le thermomètre affichait jusqu’à 43,3 degrés mercredi), couplées à une humidité oppressante, n’ont pourtant pas incité les organisateurs à assouplir la règle.

Les avis sont excessivement partagés chez les joueurs… comme chez les joueuses. Serena Williams y voit « une distraction » : « C’est un élément de plus que l’on regarde. Même quand ce n’est pas à vous de servir, vous vous demandez si votre adversaire n’est pas en train de dépasser le temps imparti… Je ne suis pas fan du tout. »

Les gros serveurs, eux, se sont logiquement faits discrets sur la question. A Monte-Carlo, en avril, lorsque l’US Open ébruita l’information, Alexander Zverev fut l’un des premiers invités à réagir. L’Allemand n’y voyait alors aucun inconvénient : « Je suis l’un des serveurs les plus rapides du circuit donc ce n’est pas moi que ça va gêner. »

Début août, Washington a été le premier tournoi à expérimenter officiellement le dispositif. Inutile de préciser le nom du joueur à avoir reçu le tout premier avertissement.