Le Mexicain Alfonso Cuaron est venu cette année à Venise avec le film le plus personnel qu’il ait réalisé, loin de l’aventure américaine qu’a été Gravity (2013). Présenté jeudi 30 août à la Mostra dans la sélection officielle du festival, Roma restitue les souvenirs d’enfance du cinéaste, durant l’année 1971 (celle de la répression des étudiants et du divorce de ses parents), dans le quartier Borghèse de Roma, au Mexique. Portrait de famille en noir et blanc autant qu’évocation sans nostalgie, mais sensible, du temps qui passe, des défaillances et des arrangements de la mémoire, Roma est un film magnifique.

Digne d’un Ettore Scola, Alfonso Cuaron redonne vie à ceux qu’il a tant aimés, mère, père, domestiques, nourrice (Cléo, personnage central), frères et sœurs qui, passés au filtre de la mémoire, gagnent une profondeur dont le cinéaste, enfant, n’avait pas eu conscience. « Quand on aime quelqu’un à cet âge-là, on ne met pas en cause la définition qu’il donne de lui-même à travers ses gestes. L’élaboration du film a créé un autre point de vue sur ces personnes, notamment sur Cléo, qui s’est progressivement complexifiée », a souligné Alfonso Cuaron, lors de la conférence qui a suivi la projection du film.

Le réalisateur Alfonso Cuaron posant pour un selfie à la Mostra de Venise, le 30 août 2018. / VINCENZO PINTO/AFP

Les mères de sa mémoire

Dans Roma, les hommes sont absents. Les femmes font tourner la maison, se relèvent de tout et portent les enfants comme on porte un monde susceptible de disparaître d’un instant à l’autre. Cette vision qu’Alfonso Cuaron avait déjà mise en perspective dans ses précédents films ne relève pas seulement d’une perception enfantine. Soumise à l’introspection, elle se corrige, cette fois, dans la tentative à laquelle s’essaie le cinéaste : redonner leur statut de femme aux mères de sa mémoire.

Roma est le premier des trois films Netflix qui, avec The Ballad of Buster Scruggs, des frères Cohen et Un 22 juillet, de Paul Greengrass, concourra pour le Lion d’or. Même s’il est destiné à être projeté dans des salles de plusieurs pays, il sera avant tout disponible sur la plate-forme de streaming. Ce choix, qui a valu au film d’être écarté de la sélection cannoise, mais ni de Venise ni de Toronto (du 6 au 16 septembre) est revendiqué par Alfonso Cuaron.

Le réalisateur Alfonso Cuaron lors de la projection de son film « Roma » à la Mostra de Venise, le 30 août 2018. / VINCENZO PINTO/AFP

Il s’en est expliqué, avec fermeté, lors de la conférence. « Bien sûr que les conditions idéales pour un film demeurent le grand écran, a-t-il souligné. Mais je remercie Netflix pour ce cadeau qu’elle nous a fait. Parce qu’il ne faut pas être naïf. Dans un contexte de distribution complexe pour les films exigeants, combien de chances et de possibilités un film comme celui-ci, mexicain, en noir et blanc, a-t-il pour se faire connaître et durer ? Or, il est nécessaire de penser au film à long terme, pour qu’il ait un impact et ne se perde pas. Il s’agit de faire le meilleur film possible et faire en sorte qu’il atteigne le public. » A ceux qui doutaient encore, le cinéaste a enfin eu recours à une question : « Qui, aujourd’hui, dans cette assemblée peut dire qu’il a dernièrement vu un Ozu, un Antonioni ou un Besson sur grand écran ? » Et la séance fut levée.

ROMA | Teaser officiel [HD] | Netflix
Durée : 01:40

Sur le Web : www.labiennale.org/en/cinema/2018/lineup/venezia-75-competition/roma et www.netflix.com/fr/title/80240715