Ce différend entre pêcheurs français et britanniques autour des coquilles Saint-Jacques est lié à la différence de réglementation entre les deux pays. / ADRIEN MORLENT / AFP

Insultes, jets de pierre, collisions navales… le différend qui oppose depuis des années les pêcheurs français et britanniques autour la pêche des coquilles Saint-Jacques a pris un tour nouveau, mardi 28 août. Des altercations impliquant cinq bateaux anglais et trente-cinq français se sont produites au large de la baie de Seine (Normandie), dans les eaux communautaires, accessibles à tous les navires de l’Union européenne (UE).

Les Normands ont cherché à faire fuir les Britanniques d’un gisement de coquilles Saint-Jacques qu’ils tentent de préserver. Certains navires ont joué aux bateaux béliers en fonçant sur d’autres. Trois embarcations présenteraient des trous dans leur coque. Aucun blessé n’est à déplorer. Le maire du Tréport (Seine-Maritime), Laurent Jacques, a dit craindre, jeudi 30 août, que les incidents ne se reproduisent « très vite, car tout le monde est super remonté ».

  • D’où viennent les tensions ?

Ce différend entre pêcheurs français et britanniques autour des coquilles Saint-Jacques est lié à la différence de réglementation entre les deux pays. En France, la coquille Saint-Jacques ne peut être pêchée que du 1er octobre au 15 mai. Mais les Britanniques et les Irlandais, eux, n’ont pas de dates imposées.

Pour encadrer leur activité et éviter les tensions, un accord, reconductible chaque année, a été conclu en 2013 entre Français et Britanniques pour que ces derniers respectent les mêmes dates de pêche. Mais il ne s’applique pas aux bateaux britanniques de moins de 15 mètres. « Du coup, on en avait régulièrement qui venaient pêcher dans ces eaux. Cela créait déjà des tensions », explique Frédéric Gueudar-Delahaye, directeur de la direction des pêches maritimes et de l’aquaculture, rattachée au ministère de l’agriculture.

Les Français demandent depuis plusieurs années à ce que l’accord soit étendu à ces navires de moins de 15 mètres, sans succès. Pour marquer leur mécontentement, ils ont refusé, cette année, de signer l’accord. Les Britanniques sont donc venus pêcher plus tôt que les années précédentes, et avec de plus gros bateaux, qui ne sont pas autorisés d’habitude.

  • La réglementation de la pêche des coquilles Saint-Jacques dépend-elle de l’UE ?

Non. L’interdiction de la pêche en dehors de la période s’étendant du 1er octobre au 15 mai a été décidée à l’initiative des organisations professionnelles françaises de pêcheurs, afin de protéger les ressources et laisser à la coquille le temps de grossir.

La Commission européenne réglemente toutefois la pêche d’autres espèces, notamment celles dont les stocks sont menacés. Les coquilles Saint-Jacques ne sont pas concernées parce qu’il s’agit d’une ressource côtière et sédentaire, pêchée principalement dans les eaux nationales – l’enjeu n’est donc pas communautaire. Son stock n’est, en outre, pas menacé.

La taille minimum des coquilles Saint-Jacques pêchées est, en revanche, encadrée par la législation européenne.

  • Les pêcheurs français ont-ils été sanctionnés ?

Non, aucune sanction n’a été prise à leur encontre, selon nos informations. M. Gueudar-Delahaye affirme toutefois qu’il « condamne » le comportement des pêcheurs français, qu’il juge « inadmissible » : « C’est une question de sécurité et d’ordre public. » Il travaille actuellement avec ses homologues britanniques pour « remettre tout le monde autour de la table afin de faire avancer les négociations, et éviter que ça se règle sur l’eau ».

Côté britannique, Sheryll Murray, députée conservatrice de la région côtière des Cornouailles, a elle aussi dénoncé sur la BBC le comportement des pêcheurs français : « Ces pêcheurs [britanniques] étaient en train de travailler pour gagner honnêtement leur vie, et c’est absolument inacceptable que des pêcheurs issus d’autres pays membres [de l’Union européenne] puissent lancer des projectiles tels que des pierres ou des pièces en métal, puissent allumer des fumigènes et mettre en danger leur vie. »

La Commission européenne est intervenue mercredi, plaidant pour un règlement du litige « à l’amiable » entre les deux pays. Une solution que le ministère français de l’agriculture dit « soutenir ».

  • Le Brexit peut-il mettre un terme au blocage ?

Selon Dimitri Rogoff, président du comité des pêches de Normandie, en cas de Brexit dur les pêcheurs britanniques pourraient être exclus de ces eaux. « Normalement, après le 29 mars 2019, [les Britanniques] seront considérés comme un pays tiers et n’auront plus accès à ces zones-là », affirme-t-il.

Selon Frédéric Gueudar-Delahaye, il ne s’agit là que de « spéculations » : « On ne sait pas encore ce qu’il en sera pour la pêche, car les négociations n’ont pas encore commencé », rappelle-t-il.

En France, la pêche de la coquille Saint-Jacques mobilise environ 600 bateaux et emploie 2 400 marins, selon le comité régional des pêches maritimes et des élevages marins. En 2017, la production était de 30 000 tonnes, pour un chiffre d’affaires de 87 millions d’euros.