C’était son baptême du feu européen. Arrivé à la tête de Sony en avril, Kenichiro Yoshida était attendu à Berlin, pour sa première apparition publique à l’IFA, le grand salon continental de l’électronique, le 30 août. Car succéder à Kazuo Hirai, qui a dirigé le fleuron japonais de l’électronique grand public pendant six années, n’est pas chose facile, surtout quand il s’agit de faire le show devant la presse internationale. Figé au milieu de la scène, lisant son prompteur, le style du nouveau PDG tranche avec son flamboyant prédécesseur.

Pour un temps encore, la comparaison entre les deux hommes s’imposera aux observateurs. D’autant que Kenichiro Yoshida prend les rênes d’un groupe au firmament. En avril, la société a publié les meilleurs résultats financiers de son histoire, avec un bénéfice de 6,7 milliards de dollars (5,7 milliards d’euros) pour l’année fiscale 2017. Un niveau de performance difficile à soutenir.

A eux seuls, le jeu vidéo et les services financiers – que Sony n’opère qu’au Japon – pèsent pour plus de la moitié des profits. Le secteur des semi-conducteurs (tous les composants que Sony fournit notamment à de nombreux fabricants de téléphones portables) affiche, lui, une croissance insolente de 172 % d’une année sur l’autre. Musique, cinéma, électroménager… Les indicateurs sont au vert. Et si la division mobile continue à accuser des pertes, cela ne suffit pas à assombrir le bilan de Kazuo Hirai.

Films, musique, jeux vidéo…

Dans ces conditions comment imprimer sa marque ou seulement penser à impulser une nouvelle stratégie ? « Sony n’a jamais été capable d’enchaîner deux années de résultats historiques », rappelle M. Yoshida. Pas question pour autant de remettre en cause les orientations prises jusque-là, et auxquelles le nouveau patron a longtemps été associé, dans l’ombre de M. Hirai, dont il fut le bras droit de 2015 à 2018 en tant que directeur financier.

Kenzo Hirai, défendait la philosophie dite du kando, qu’on pourrait traduire par « l’émotion par la technologie ». Kenichiro Yoshida veut poursuivre dans cette direction, voire l’étendre. Car, pour lui, Sony peut encore améliorer la convergence entre ses contenus – avec son immense catalogue de films (Sony Pictures), de musique (Sony Music, qui a absorbé cette année son concurrent EMI), et de jeux vidéo – et ses produits (téléviseurs, casques audio, consoles de jeux, etc.) et ainsi passer du rang de groupe d’électronique grand public qui a longtemps été le sien à celui de géant du divertissement.

Dans ce schéma, les revenus de Sony ont vocation à évoluer. « Nous devons dégager davantage de revenus récurrents », plaide ainsi le dirigeant japonais. Un défi dans un secteur de l’électronique, par nature cyclique. Pour cela, Kenichiro Yoshida peut compter sur des services comme PlayStation Network, la plate-forme de Sony, qui compte déjà 83 millions d’utilisateurs actifs mensuels auxquels sont proposés quantité de services payants, comme PlayStation Plus, auquel 34 millions de gamers souscrivent actuellement.

Idem dans la musique : « Auparavant, nous vendions des disques. Aujourd’hui, on fait fructifier notre catalogue de musique et de films auprès de plates-formes comme Spotify, Amazon », se réjouit-il, même s’il conserve sur ces plates-formes un regard attentif : « Ce sont des partenaires, mais aussi des concurrents. »

Kenichiro Yoshida, un gestionnaire sourcilleux

Avec l’arrivée à la tête de Sony de ce gestionnaire sourcilleux, qui n’avait pas hésité à couper dans les effectifs ou à se débarrasser de branches au nom de la rentabilité (la division informatique Vaio) lorsqu’il était directeur financier, les observateurs ne donnaient pas cher de la peau de l’activité téléphonie mobile. Celle-ci enchaîne d’année en année les pertes (250 millions de dollars en 2017) et ses ventes devraient encore baisser. Mais il n’en est rien.

Certes, Sony a réduit ses ambitions dans ce domaine – il renonce à la production de masse et vise désormais seulement un segment de haut de gamme –, mais le travail effectué dans la téléphonie est crucial à bien des égards. En particulier pour ce qui est du développement de la 5G, auquel le groupe japonais travaille activement et qui doit permettre d’augmenter très fortement les débits de communication mobile.

Cette technologie est primordiale pour ce qui semble être l’un des principaux paris d’avenir de la société. Sony ne cache pas son vif intérêt pour le développement des véhicules autonomes, qui auront besoin de la technologie 5G pour ajuster en temps réel leurs trajectoires.

S’appuyant sur l’expertise de l’entreprise en matière de capteurs optiques, Kenichiro Yoshida est persuadé qu’il y a là une carte à jouer. « A mon poste, je veux avoir une vision à long terme. C’est pourquoi il nous faut d’ores et déjà nous saisir des nouveaux défis technologiques qui se présentent à nous. » Pas question pour lui de se tourner vers le passé.