Sur l’esplanade devant le court Arthur-Ashe, jeudi 30 août, où la chaleur combinée à l’humidité était encore écrasante. Mardi, la température ressentie a atteint les 54 degrés. / EP/Le Monde

Avec dix-huit participations à l’US Open, cela fait longtemps que cela n’amuse plus Roger Federer. Ou, du moins, que le quintuple vainqueur ne se laisse plus impressionner. « Cela », c’est l’ambiance très particulière qui règne autour du tournoi américain de tennis. Car, très souvent, à New York, le spectacle n’est pas sur le court, mais en dehors. En tribunes par exemple.

C’est ce qu’il s’est produit par exemple mardi 28 août, lors du premier tour de Federer – un match à sens unique où le Japonais Yoshihito Nishioka a été expédié fissa (6-2, 6-2, 6-4). Lors d’un changement de côté, du haut des gradins, un spectateur hystérique - en l’occurrence le bouffon canadien Cameron Hughes, s'est mis à danser avec la grâce d’un hippopotame tout en s’adonnant à un strip-tease.

Ce « sketch » fut efficace pour réveiller les 24 000 spectateurs du court Arthur-Ashe assommés autant par la chaleur et l’humidité que le scénario du match. Il laissa parfaitement coi Federer, le Suisse jetant des regards presque consternés.

Voilà condensée en une scène toute l’exubérance du Grand Chelem new-yorkais. Encore plus palpable lors des night sessions, qui démarrent aux alentours de 19 heures. Les matchs de soirée incorporent tous les attributs du show démesuré que seule l’impudence américaine ose : une entrée des joueurs qui se fait dans l’obscurité, au milieu de faisceaux de lumière accompagnée d’une sono galvanisante (un peu comme à Bercy mais version XXL). Un speaker qui manque se décrocher la mâchoire chaque fois qu’il prononce « RRRRRRRRRRoger Federer » ou « RRRRRRRRRRRRafael Nadal ».

Danse et shopping au milieu du match

Les écrans géants passent des extraits à forte charge frissonnante des plus grandes épopées du tournoi, d’Arthur Ashe – vainqueur du premier US Open, en 1968, et dont le Central porte le nom – à Pete Sampras en passant par les exploits de Billie Jean King. Petit effet garanti quand, ô miracle, au milieu du stade vertigineux (il mesure 62,5 m de haut), la légende de 74 ans se lève simultanément à la vidéo et salue la foule depuis sa loge.

Le « Honey Deuce », le cocktail officiel du tournoi, un mélange de vodka, de liqueur à la framboise et de limonade, surmonté d’une brochette de billes de melon miel. / EP/Le Monde

Les caméras passent leur temps à capter les vedettes présentes dans les gradins : cette semaine, les spectateurs ont ainsi pu apercevoir Ben Stiller, Hugh Jackman, Stan Smith ou bien Anna Wintour, la rédactrice en chef de Vogue, aussi fidèle à sa frange qu’à Federer.

Cette atmosphère « électrique et vibrante », Keith Yamada, originaire de Chicago, l’apprécie. Le jeune quinquagénaire n’est pas spécialement un inconditionnel du tennis, il s’acquitte plutôt d’un devoir conjugal, prié d’accompagner sa femme, qui, elle « ne passe pas une journée sans jouer au tennis ».

En attendant qu’elle revienne d’une boutique de souvenirs, il patiente à l’ombre. Le dernier Grand Chelem de la saison est réputé pour ses coups de chaud. Contrairement à Melbourne, l’air y est beaucoup plus humide : mercredi, le thermomètre indiquait 43,3 degrés sur le court Louis-Armstrong. La veille, la température ressentie était de… 54 degrés.

Dans les tribunes, pendant les matchs, on danse, on passe des coups de fil ou pianote sur son smartphone – on a même surpris une spectatrice absorbée par sa liseuse et une autre faisant l’achat en ligne d’une robe à… 400 dollars –, on déguste avec les doigts sa barquette de nuggets ou ses tacos coréens.

Et, surtout, on s’hydrate (signe de l’importance de la chose aux yeux des Américains, sur les trois courts principaux, chaque siège dispose de son porte-gobelet), « in a responsible and lawful manner », exige toutefois le règlement.

A Wimbledon, les spectateurs sirotent un verre de Pimm’s – ou une coupe de champagne pour les moins miséreux. A New York, on boit du Honey Deuce (le terme « deuce » en tennis est utilisé quand les deux joueurs sont à égalité, à 40-40) : le cocktail officiel du tournoi, un mélange couleur corail de vodka, de liqueur à la framboise et de limonade, surmonté d’une brochette de billes de melon miel imitant des balles de tennis.

Le génie artistique se paye : 17 dollars (environ 15 euros) mais pour ce prix-là, vous évitez du même coup la crise d’hypoglycémie et la syncope : « C’est sucré et très rafraîchissant », à en croire Victoria et Shane, deux jeunes new-yorkais qui viennent de descendre leurs verres.

Cette année, le tournoi fête ses 50 ans depuis le début de l’ère Open (jusqu’en 1967, il s’appelait US National Championships). John et Dorothea Stierli, 71 et 70 ans, et Joseph et Marian Tain, 72 et 65 ans, eux, ne viennent « que » depuis trente-huit ans. « Invariablement le jeudi et le vendredi de la première semaine ».

Une spectatrice du court Arthur-Ashe avait visiblement mieux à faire que de regarder le deuxième tour opposant Roger Federer (à l’arrière-plan) à Benoît Paire, jeudi 30 août. / EP/Le Monde

Malgré les haut-parleurs qui crachent des tubes de 10 heures du matin jusque tard dans la nuit dans les allées, et les dizaines de milliers de spectateurs qui se croisent dans des effluves de friture, les deux couples, venus du New Jersey et de Floride, n’y voient pas un odieux cirque mais plutôt une joyeuse kermesse.

Antithèse de Wimbledon

« Aujourd’hui, c’est très aéré, les premières années où on venait, on était les uns sur les autres, il fallait jouer des coudes pour circuler dans les allées, se rappellent-ils. Et puis c’était très bruyant, les avions [le site se situe tout près de l’aéroport de LaGuardia] passaient juste au-dessus de nos têtes, maintenant généralement ils contournent. »

Le tournoi a pris ses quartiers en 1978 à Flushing Meadows, un grand parc de 19 ha dans le nord du Queen’s, à une heure environ de Grand Central en métro.

Les deux couples ont déjà mis les pieds dans le « temple du tennis », parfaite antithèse de l’US Open. « A Wimbledon, c’est très codifié, très traditionnel, très XIXe siècle. Ici, c’est sûr que comparativement, c’est excessivement moderne, mais on apprécie autant les deux », assurent-ils.

L’extravagance est telle que samedi soir, lors du match opposant Richard Gasquet à Novak Djokovic, un jeune homme a profité d’un changement de côté en milieu de premier set pour faire sa demande en mariage au bord du terrain.

Pour l’anecdote, le Français a été battu en trois petits sets par le Serbe : 6-2, 6-3, 6-3. Car avec tout ça, on en oublierait presque la nature de l’événement : un tournoi de tennis.