Comme nombre d’autres textes bruxellois, le projet de directive « copyright » est difficilement lisible pour le grand public : plutôt long (24 articles), très complexe, il a été maintes fois amendé, au Conseil (par les Etats membres) puis au Parlement européen, depuis la version initiale proposée par la Commission en septembre 2016. Et toutes les versions de travail ne sont pas publiques. Mais depuis deux ans, les débats, virulents, entre ayants droit et plates-formes du Web se sont concentrés sur deux articles : les 11 et 13. Et pour cause.

  • L’article 11

Il propose de conférer aux éditeurs de presse un « droit voisin » des droits d’auteur, ces derniers n’étant pour l’heure pas reconnus comme des titulaires de droits, et le droit d’auteur étant peu opérant pour la presse, puisqu’il ne protège que des contenus considérés comme « originaux ». Dotés de ces « droits voisins », les éditeurs peuvent théoriquement réclamer des droits aux plates-formes proposant un lien hypertexte vers leurs contenus, dès lors qu’il signale un titre suivi d’un court extrait, par exemple.

A en croire la Commission, qui a produit ces chiffres en 2016 au moment de proposer la directive, 57 % des internautes accèdent aux articles de presse par les réseaux sociaux, les agrégateurs d’information ou les moteurs de recherche.

Les opposants au texte, menés au Parlement européen par l’Allemande Julia Reda, dénoncent ce que la seule représentante dans l’hémicycle du parti Pirate (affiliée aux Verts), appelle une « link tax » (un impôt sur les hyperliens). Elle assure aussi que ce nouveau droit voisin constituerait une atteinte à la liberté d’expression pour les blogueurs par exemple. En outre, avance l’élue, l’Espagne et l’Allemagne, qui ont introduit le principe d’une rémunération pour les reprises d’extraits d’articles, ont constaté l’échec de ces mesures.

Faux, insistent les partisans du texte – les éditeurs, bien sûr, et la Commission –, « la directive ne va pas bannir les hyperliens, contrairement à ce qui est souvent prétendu dans le débat public », souligne Nathalie Vandystadt, porte-parole de l’institution. Le droit voisin octroyé aux éditeurs n’implique pas qu’ils vont exiger une rémunération pour chaque lien. « Nous n’allons pas introduire de taxe sur l’hyperlien », assure au Monde Fabrice Fries, le PDG de l’AFP. « Les droits voisins seront perçus exclusivement auprès des plates-formes de partage, c’est un champ bien délimité », ajoute le dirigeant.

  • L’article 13

Il stipule, dans la version initiale de la Commission, que les plates-formes diffusant des contenus téléchargés par les internautes « prennent des mesures […] appropriées et proportionnées » pour faire respecter leurs accords avec les titulaires de droits, dès lors que les contenus téléchargés reproduisent des œuvres ou des objets protégés par le copyright. Ces plates-formes sont donc tenues de conclure des contrats de licence avec les titulaires de droits, puis de faire respecter ces contrats.

Les détracteurs du texte, à commencer par l’association des plates-formes Edima (Google, Facebook, eBay…), crient à la « censure de l’Internet », pointent le danger qu’il y aurait à exiger de tous les sites accueillant les téléchargements d’internautes un filtrage exhaustif de leurs contenus.

Pas question de censurer le Web, proteste la Commission, qui relève que les filtrages de contenus liés à des droits existent déjà, comme Content ID, utilisé par YouTube. Il est vrai que la version de la commission JURI du Parlement européen, retoquée une première fois en plénière, début juillet, manquait de clarté quant aux garde-fous protégeant la libre expression des internautes.

La version négociée au Conseil introduit une flexibilité pour les petites plates-formes, ayant moins de moyens qu’un YouTube pour introduire des logiciels de filtrage. Axel Voss, le rapporteur (conservateur, allemand) du projet de directive à Strasbourg, pourrait choisir de se rapprocher de cette mouture pour espérer obtenir une majorité en faveur du texte, lors du vote en plénière prévu le 12 septembre.