Les présidents chinois, Xi Jinping, et sud-africain, Cyril Ramaphosa, au Forum Chine-Afrique, à Pékin, le 4 septembre 2018. / LINTAO ZHANG / AFP

Chronique. Chefs d’Etat et de gouvernement africains, ministres et conseillers, tous ont fait le déplacement à Pékin, lundi 3 et mardi 4 septembre, pour le Forum Chine-Afrique. Cinquante-trois pays africains sont représentés. Il ne manque que le Swaziland, seul Etat à ne pas avoir prêté allégeance à la République populaire. « Si on compare avec les sommets France-Afrique et Royaume-Uni-Afrique, cela donne une idée de la force de frappe chinoise », commente David Bénazéraf, spécialiste des relations sino-africaines à l’Agence internationale de l’énergie.

Créé en 2000, le Forum sur la coopération sino-africaine (Focac) est devenu un immense guichet pour le continent africain. Les slogans « Destin commun » et « Amitié entre les peuples » se déploient le long des sept périphériques de la capitale chinoise, mais le rendez-vous est avant tout voué à la distribution de bons sentiments et, surtout, de beaucoup d’argent.

Pour résumer : 60 milliards de dollars (près de 52 milliards d’euros) promis par la Chine, soit autant qu’il y a trois ans lors du sommet de Johannesburg. Différence majeure : cette fois, il n’est plus seulement question de distribuer des prêts concessionnels, mais de faire des affaires. Quelque 15 milliards de dollars (soit trois fois plus qu’en 2015) sont des prêts sans intérêts, 20 milliards sont des lignes de crédit, 10 milliards iront à un fonds de financement des projets de développement et 5 milliards devront soutenir les exportations africaines.

Le président chinois, Xi Jinping, a aussi promis d’effacer la dette des pays les plus pauvres. Chose rare, il semble avoir répondu aux inquiétudes des pays occidentaux, notamment en ce qui concerne le poids de la dette.

Base militaire à Djibouti

L’industrialisation du continent est en tête des huit axes de coopération, devant les infrastructures. « Le continent reste plus que jamais une zone de délocalisation des entreprises chinoises pour les industries à forte demande en main-d’œuvre », explique David Bénazéraf, qui voit là un bon moyen de contourner la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine.

Car dans ce jeu de go qui oppose la Chine aux pays occidentaux, l’Afrique occupe une part de plus en plus importante. Alors que les « nouvelles routes de la soie » sont critiquées en Asie (notamment en Malaisie, en Birmanie et au Sri Lanka), elles ont désormais leur « extension » africaine, selon les mots de Xi Jinping. Sur le continent, elles déroulent sans trop de heurts leur lot d’investissements dans les infrastructures et rallient de plus en plus de pays : Egypte, Kenya, Afrique du Sud, Sénégal, Maroc… La base militaire chinoise de Djibouti marque de son empreinte cette Chinafrique dessinée par Xi Jinping.

« Ces cinq dernières années, le président chinois a visité le continent africain quatre fois. Ce n’était jamais arrivé dans l’histoire de la diplomatie chinoise et c’est le signe d’une relation très forte entre la Chine et l’Afrique », estime Zeng Aiping, de l’Institut chinois des études internationales. Pékin s’appuie sur l’Afrique pour construire une muraille face aux pays occidentaux. Un mur de « Brics » (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) se dresse devant les Etats-Unis, éternel ennemi de la puissance chinoise.

C’est du « gagnant-gagnant »

Alors, mariage de raison ou de circonstance ? Pour les deux parties, c’est du « gagnant-gagnant », selon la terminologie officielle. « Pour l’Afrique, la Chine est une opportunité phénoménale qui lui permet de ne plus être dans un face-à-face avec les puissances occidentales », explique le sinologue Thierry Pairault, directeur de recherche au CNRS. Et pour la Chine, cet élan africain sert de soupape à une économie longtemps portée par les exportations et qui a besoin d’un relais face aux accents protectionnistes de Donald Trump et aux barrières européennes.

Face aux critiques, Xi Jinping a déclaré : « Seuls les peuples de Chine et d’Afrique ont le droit de dire si la coopération Chine-Afrique se porte bien. Personne ne devrait nier les réalisations significatives de la coopération sino-africaine sur la base d’hypothèses et de spéculations. » La remise en cause par Pékin de la gouvernance mondiale et du poids historique de l’Occident n’a pas encore livré tous ses secrets. Mais une chose est sûre : l’Afrique est une carte majeure dans le jeu stratégique de Xi Jinping.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica.info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.