« On a un boulevard. » L’entourage de Marine Le Pen a la rentrée joyeuse. Ce matin-là, Jean-Lin Lacapelle, pourtant délégué national aux ressources du Rassemblement national (RN, ex-FN), qui en appelle aux dons depuis deux mois, n’en finit plus de sourire. La veille, Nicolas Hulot a brutalement démissionné du gouvernement, offrant au parti d’extrême droite l’occasion d’un retour de vacances en fanfare.

Démission du ministre de l’écologie, sortie sur les « Gaulois réfractaires », déclarations contradictoires sur le prélèvement à la source… Emmanuel Macron apparaît fragilisé en cette rentrée. Son édifice politique omnipotent depuis le printemps 2017 laisse soudain apparaître des fêlures dans lesquelles les oppositions n’ont qu’à s’engouffrer. Et sans les avoir créées, les gauches et les droites cherchent la meilleure façon de profiter de ces fenêtres de tir inédites.

Depuis une semaine, l’extrême droite se frotte les mains. Mais en silence. Sa patronne, Marine Le Pen, n’a même pas encore effectué sa prérentrée, sa première sortie officielle étant prévue vendredi 7 septembre à la foire agricole de Châlons-en-Champagne. D’ici là, celle qui a affronté M. Macron au second tour de la présidentielle, un fait d’armes qu’elle rappelle régulièrement, ne s’oppose qu’à coup de Tweet et de communiqués.

La présidente du RN avait pourtant réussi à se faire remarquer au cœur de l’été, au moment de l’affaire Benalla. « Quand ça cogne, on est à notre affaire », fredonnait son conseiller spécial, Philippe Olivier. Pas cette fois. En interne, certains s’étonnent de ce silence, le discours de rentrée de Marine Le Pen étant très tardivement annoncé pour le 16 septembre. Réponse de ses lieutenants : ses tracas judiciaires – 2 millions d’aide publique saisis dans le cadre de l’enquête sur l’utilisation des fonds européens – lui imposent une rentrée a minima. « Ça n’empêche pas de faire des matinales », sermonne un cadre, pour qui le problème est plus profond : « La dynamique est un peu cassée, et la question de la crédibilité de Marine comme présidentiable est sous-jacente depuis le fameux débat » de l’entre-deux-tours.

Ce qui ne l’empêche pas de miser sur un « gros » score aux européennes en mai. Car le RN estime que l’affaiblissement d’Emmanuel Macron, l’actualité migratoire et la dynamique populiste enclenchée en Europe finiront par lui profiter. Qu’importe si la tête de liste n’est pas Marine Le Pen ou si le changement de nom du parti n’a pas réveillé l’enthousiasme de ses troupes.

Prendre son temps

Laurent Wauquiez a, de son côté, fait sa rentrée le 26 août. En concurrence avec Marine Le Pen sur une partie de l’électorat de droite, le président du parti Les Républicains (LR) s’active bien plus. Dans la course au titre de meilleur opposant, LR estime même ne pas avoir besoin de s’appuyer outre mesure sur l’affaire Benalla ou sur la démission de Nicolas Hulot. Il préfère tenter de convaincre de l’échec d’Emmanuel Macron sur deux sujets moins conjoncturels et qui préoccupent particulièrement ses électeurs (ceux-là mêmes que cherche à attirer le chef de l’Etat) : l’économie et le couple immigration-sécurité. Laurent Wauquiez a donc décidé d’enfoncer le clou sur les questions économiques et sociales, avec en tête le pouvoir d’achat, demandant à M. Macron de « rendre l’argent » aux Français. « C’est encourageant, l’année était assez rude. On ne voulait pas nous entendre, pas nous voir. Les gens commencent à se rendre compte que ce qu’on dit n’est pas idiot », veut croire Lydia Guirous, porte-parole de LR.

Peu visible malgré tout, et privée de nombreuses têtes d’affiche qui se sont mises en retrait ou ont rejoint Emmanuel Macron, la droite veut prendre son temps pour reconquérir ses positions. Laurent Wauquiez, qui vise l’élection présidentielle de 2022, est convaincu que les difficultés de l’exécutif vont lui profiter sur le temps long, comme dans un jeu de vases communicants. Raison pour laquelle le président de LR se montre d’ordinaire peu présent dans les médias – à l’exception des derniers jours, avec deux interviews radio consécutives –, afin de ne pas lasser l’opinion. « Le recul médiatique, c’est une conviction sur le moyen terme : si tu fais le sprint dans le premier kilomètre, tu ne finiras pas le marathon », explique son entourage. Une stratégie que le président de LR espère payante à long terme, mais qui reste un pari, car le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes demeure impopulaire dans l’opinion. « Toute cette séquence est désagréable pour le président de la République, mais ce n’est pas dangereux, juge un élu centriste, il n’y a personne en face. »

Si ce n’est Jean-Luc Mélenchon, qui n’hésite pas à revêtir le bleu de chauffe pour ferrailler, par médias interposés, avec le chef de l’Etat. Et ce sur tous les sujets, du prélèvement à la source – une « idée qui ne vaut rien » – à « l’incompatibilité » entre le libéralisme économique et l’écologie.

Dans leur désir d’hégémonie face à l’exécutif, les « insoumis » cherchent à construire une coalition des colères qui dépasse les clivages partisans, pour tracer une frontière nette entre Jean-Luc Mélenchon et le pouvoir exécutif. Ils ne s’interdisent donc pas de discuter avec l’ensemble de la gauche, voire avec certains élus de droite, comme lors de l’université d’été du mouvement, fin août à Marseille. La France insoumise se pense ainsi en pivot autour duquel peuvent se rassembler tous ceux qui veulent donner « une raclée démocratique » à M. Macron. Sa volonté de catalyser les mécontentements lors des élections européennes en les transformant en un « référendum anti-Macron » s’inscrit également dans cette stratégie : toutes les occasions sont bonnes pour consolider sa place de « premier opposant » au président de la République.

En attendant, la majorité, qui enchaîne pourtant les déboires, peut se fendre d’une contre-attaque toute trouvée contre « le bashing permanent » d’opposants n’offrant aucune alternative, selon les mots de Richard Ferrand, chef de file des députés LRM : « Aucun ne met sur la table des propositions et tous veulent rejouer la revanche de 2017. » Qui aura donc lieu en mai, au scrutin européen.

L’agenda de la majorité bouleversé

Le remaniement du gouvernement perturbe l’agenda de l’exécutif et de LRM. Le patron du parti, Christophe Castaner, a décidé de ­reporter sa conférence de presse de rentrée, prévue mardi 4 septembre à 10 h 30, au lundi 10 septembre, la composition de la nouvelle équipe gouvernementale devant être annoncée mardi en fin de journée. Lundi, le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a reporté une conférence de presse visant à présenter le bilan des forces de l’ordre depuis le début de l’année. Elle est reprogrammée au jeudi 6 septembre. Le ministère met en avant « un agenda surchargé » et « la rentrée scolaire » pour expliquer ce report.