File d'attente lors des inscriptions à l'université Paris Diderot (photo non datée). / Roger Rozencwajg / Photononstop / Roger Rozencwajg / Photononstop

Par Emmanuel Roux, président de l’université de Nîmes (Gard).

Point de vue. Cela faisait bien longtemps qu’une rentrée universitaire n’avait pas été attendue avec tant de fébrilité. Plusieurs sont ceux qui attendaient l’allumage du dernier étage de la fusée Parcoursup afin d’en dénoncer une nouvelle fois la soi-disant incurie. On nous permettra de ne pas être de ceux-là.

D’abord, rappelons l’enjeu initial : loin d’être une option, il fallait urgemment s’attaquer à la question de l’accès en licence. Pour des raisons de légalité, d’abord, le Conseil d’Etat ayant annulé la circulaire sur laquelle s’appuyait la fameuse plate-forme Admission post-bac (APB). Pour des raisons d’équité, ensuite, tant il fallait mettre un terme à un système rigide, qui avait atteint les limites de l’absurdité en consacrant le principe du tirage au sort lorsqu’une filière universitaire était en tension, au prétexte d’un égalitarisme illusoire, à bien des égards irresponsable.

Il est vrai que les deux années écoulées ont passablement bouleversé les systèmes établis. Cela a commencé en 2016, avec la réforme de l’accès en master et les polémiques en grande partie oubliées de l’époque, et cela se poursuit aujourd’hui avec la licence. Certes, Parcoursup n’est pas parfait. Il faudra nécessairement, dans les mois à venir, remettre le métier sur l’ouvrage, repenser le calendrier et interroger la logique de flux continu induite par un dispositif possiblement anxiogène.

Si l’absence de classification des choix exprimés a ouvert le champ des possibles, et a souvent offert aux élèves de terminale un salutaire délai de réflexion supplémentaire, elle a aussi artificiellement alimenté le syndrome du « collectionneur » qui, espérant toujours plus, accumule les vœux en attente et séquestre ainsi des places que d’autres pourraient avoir. Le retour, à un moment donné, sans doute après la publication des résultats du bac, à une hiérarchisation des propositions, sera peut-être la réponse simple à apporter afin d’éviter la paralysie temporaire du système.

La commission de suivi de Parcoursup, récemment installée, aura la charge de l’évaluation et de l’amélioration du processus. Elle y parviendra certainement, tant les réglages que l’on imagine ne semblent pas hors de portée. A cette heure, tout est mis en œuvre afin qu’aucun étudiant ne soit laissé pour compte, et chacun se rappelle des soubresauts d’APB à la fin de l’été 2017, qui faisaient le beau jeu des commentateurs critiques s’offusquant d’images d’amphis saturés et du mutisme réservé aux candidats évincés qui n’avaient aucune issue, sauf celle de saisir les tribunaux administratifs, pour rejoindre la formation espérée.

Il ne faut pas oublier ce qui constitue la philosophie profonde de la réforme. Parcoursup, en écho à la loi qui l’a institué, a d’abord été créé pour améliorer l’orientation des étudiants et, partant, du moins faut-il l’espérer, favoriser leur réussite. Car au fond, qu’il y a-t-il de blâmable dans l’idée de classer des candidatures qui se manifestent pour intégrer une filière non sélective ? N’est-ce pas une approche de bon sens que de vouloir informer un élève, au regard du dossier qu’il présente, de ses chances, ou non, de succès ?

Il faut cesser de se voiler la face, chacun sait qu’en fonction du parcours, de la formation initiale, des lacunes accumulées, la réussite en première année de licence peut s’avérer parfaitement illusoire. Parcoursup n’a d’autre objectif que d’offrir une orientation active, en informant, voire corrigeant le tir à la marge, le cas échéant par un dispositif d’accompagnement, le fameux « oui si », dont la vocation, parfaitement louable, est de gommer certaines faiblesses détectées.

Dans ces conditions, le débat n’est pas tant de savoir s’il y a ou non, aujourd’hui, sélection pour entrer dans une licence universitaire. A vrai dire, vue d’une « petite » université de province, qui assume fièrement sa mission de proximité, cette question est assez déconnectée des réalités quotidiennes. Sans surprise, l’enjeu, ô combien fondamental, est de jouer au mieux le rôle d’ascenseur social assigné, alors que le taux de boursiers, en premier cycle, peut largement dépasser les standards nationaux.

La vocation, dans ce cadre, est d’accueillir les étudiants qui se présentent, sans exclusive, et de leur donner les gages d’une insertion satisfaisante. Cela paraît bien éloigné de toute velléité de sélection, d’autant plus improbable que les capacités d’accueil ont systématiquement été portées à leur maximum, laissant ainsi penser que, aucune formation n’arrivant a priori à saturation, chacun trouvera la place qu’il souhaite, mais désormais en toute connaissance de cause.

Cette lecture permet de dégonfler singulièrement un débat, parfois déformé par une analyse propre aux établissements parisiens. Revenons aux fondamentaux, quitte à rappeler un poncif : où qu’elles se trouvent, les universités sont avant tout dépositaires d’une mission de service public, et n’ont d’autre vocation que de faire réussir ceux qui leur accordent leur confiance. Nul ne peut se satisfaire des taux de réussite trop faibles que l’on affiche inlassablement en licence depuis des années. Parcoursup et la loi ORE [orientation et réussite des étudiants] aideront peut-être à les améliorer, et en tout cas ne seront en rien un frein par rapport aux pratiques antérieures. A condition, évidemment, que les moyens soient au rendez-vous, en particulier sur le long terme. L’Etat devra en être garant.

En attendant grande est la tentation d’observer avec clémence le déroulement du processus en cette rentrée charnière. Incontestablement, il a fallu de l’audace pour lancer dans un délai aussi court un tel chambardement, et que chacun se saisisse du dispositif et en respecte scrupuleusement les différentes étapes. Comme quoi, les universités, comme d’ailleurs les chancelleries qui les accompagnent, savent faire évoluer leur mode de fonctionnement avec efficacité, en un temps record. A n’en point douter, la rentrée passera. A l’avenir de confirmer que cette année zéro sera bien celle du renouveau.