L’ex-ministre de la transition écologique et solidaire Nicolas Hulot, après la passation de pouvoir avec son successeur, François de Rugy, mardi 4 septembre à Paris. / Thibault Camus / AP

Chronique Phil’d’actu. La semaine dernière a été marquée par la démission de Nicolas Hulot du gouvernement. L’événement pourrait paraître anecdotique, mais son explication au micro de France Inter ne manquait pas d’intérêt.

Le ministre démissionnaire a ainsi fustigé l’action des lobbys, « l’orthodoxie financière » exigée par l’Europe, la mauvaise foi de l’opposition, l’apathie de la société civile, les contradictions idéologiques, « la pression du court terme » ; autant de causes empêchant la transition écologique dont il était chargé. Il abandonnerait donc pour ne pas devenir cynique ou indifférent.

Le cas de M. Hulot nous interroge plus largement sur ce que signifie, aujourd’hui, « faire de la politique » : est-ce se contenter de gérer au mieux les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent, ou est-ce porter une vision à long terme ? Est-ce s’occuper de la société telle qu’elle est ou alors œuvrer à sa transformation ?

Deux visions opposées

Dans son entretien, Nicolas Hulot a employé à plusieurs reprises l’expression « petits pas », par opposition au changement total de mode de vie qu’exigerait la préservation du climat et de la biodiversité. Ici s’affrontent deux visions radicalement différentes de la politique, que les uns appelleront réalisme contre utopie, et les autres cynisme contre transformation sociale.

Schématiquement, les « réalistes » pensent que l’idéal est impossible à atteindre et que faire de la politique consiste à faire de son mieux. Pour eux, il existe un principe de réalité dont on ne peut s’échapper, autrement dit la puissance publique manque toujours de puissance et doit par conséquent « ajuster » les choses, non les transformer.

Dans le cas qui nous occupe, cette position a été tenue par Benjamin Griveaux, sur BFM-TV, le 28 août : « Est-ce qu’on fait la révolution environnementale en une année ? La réponse est non. Je préfère les petits pas au sur-place (…). Je préfère les petits matins sympathiques aux grands soirs illusoires. » Le porte-parole du gouvernement utilise ici une rhétorique bien connue qui consiste à se placer du côté de la responsabilité et à renvoyer son adversaire à la « révolution », synonyme à la fois de déception et de violence.

Une impasse ?

La rhétorique ne doit pas nous faire oublier le fond du problème : est-il vrai qu’il vaut mieux en faire un peu que pas du tout ? Formulée ainsi, la question a de quoi surprendre. Mais n’est-il pas aisé de brandir les petites avancées pour mieux masquer le fait que les véritables enjeux ne sont pas pris en compte ? C’était la crainte de Nicolas Hulot : servir de « caution verte » au gouvernement.

Pourtant, si l’on écoute avec attention ses explications, nous voyons bien que l’ex-ministre ne se place pas sur le terrain de l’idéal. Au contraire, il donne des exemples très concrets des effets du bouleversement écologique : l’invasion des sargasses aux Antilles, les réfugiés climatiques, les ouragans, etc. Apparaît ainsi un troisième terme dans le débat, entre les « petits pas » et les « grands soirs » : en faire davantage, autrement dit « l’ambition ». C’est le manque d’ambition en matière d’environnement qu’a voulu dénoncer Nicolas Hulot en démissionnant.

Malgré les réserves qu’on peut avoir sur la posture de M. Hulot, sur ses atermoiements tout au long de l’année écoulée, ou encore sur le seul fait qu’il ait accepté de devenir ministre, il y avait quelque chose de désespérant dans sa démission. D’abord parce qu’il a annoncé en creux que son ou ses successeurs seront également condamnés à une relative impuissance. Ensuite parce qu’on peut s’attendre aux mêmes problèmes dans d’autres domaines que l’écologie : la culture, la recherche, l’éducation… tout ce qui nécessite du temps.

Lutter contre l’immédiateté

Au-delà des lobbys et des règles budgétaires, le manque d’ambition me semble avoir des causes plus profondes, en lien avec notre rapport au temps lui-même. L’économie financiarisée fonctionne dans le court terme ; dans les médias, une information chasse l’autre ; les réseaux sociaux nous permettent d’abolir les distances… Mais il est devenu très difficile de se projeter dans le futur. Comme si quelque part en nous s’était inscrite l’idée que ce futur ne pouvait pas exister.

Selon l’expression bien connue de Girardin, « gouverner, c’est prévoir ». Le politique devrait justement être le lieu où l’on s’extraie de l’immédiateté et l’on porte au loin son regard. Mais le futur est affaire de désir, pas de « réalisme », et c’est cela qu’il est urgent de repenser aujourd’hui.

Thomas Schauder

A propos de l’auteur

Thomas Schauder est professeur de philosophie en classe de terminale à Troyes (Aube). Vous pouvez retrouver l’intégralité de ses chroniques Phil’ d’actu, publiées un mercredi sur deux sur Le Monde.fr/campus, ainsi que ses autres travaux, sur son site Internet.

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