Le Doodle du 4 juillet 2011. / Google

C’est une petite facétie qui s’est transformée en véritable tradition, et en outil de marketing efficace pour Google : les Doodles fêtent, tout comme l’entreprise, leurs 20 ans. Ces petites illustrations et animations, bien connues des utilisateurs, ornent de plus en plus souvent le logo Google de sa page d’accueil. Elles illustrent des événements, des fêtes nationales, des compétitions sportives ou des personnages illustres, et renvoient quiconque clique dessus à une page du moteur recherche sur le thème célébré.

L’idée du détournement du logo est venue aux fondateurs de cet empire de la Silicon Valley avant même le dépôt des statuts de leur société, le 4 septembre 1998. Un mois plus tôt, le 1er août, le moteur de recherche est au point mais pas encore renommé. Sergey Brin et Larry Page, avant de se mettre en route pour le festival Burning Man, dans le Nevada, décident de faire un petit clin d’œil graphique à leurs premiers utilisateurs. « Une manière humoristique de faire savoir aux utilisateurs de Google que les fondateurs étaient absents du bureau », explique Google sur le site qui rassemble l’intégralité des archives des Doodles (à ne pas confondre avec le site Doodle, de planification et de sondage). Ils engoncent alors un bonhomme — le symbole du festival — derrière le deuxième O de Google. Le premier « gribouillage » (c’est ce que signifie « doodle » en anglais) était né. En suivront plus de 2 000.

Le tout premier Doodle en 1998, fait référence au festival Burning Man, qui se déroule dans le Nevada. / Google

De « Pac-Man » à Lennon

Si ce sont bien sûr les « Googlers », les employés de la firme, qui continuent de choisir quoi commémorer, les Doodles sont devenus en vingt ans plus formels, et ouverts aux suggestions d’internautes, par un e-mail ou par le biais de concours.

Doodle 4 Google: Time lapse video of Google Doodle creation
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L’un des grands artisans des Doodles est Dennis Hwang. Aujourd’hui directeur artistique chez le développeur de jeux vidéo Niantic, pour lequel il a travaillé sur le jeu mobile Pokémon Go, ce webmaster est entré au service de Google en 2000. Les patrons, ayant appris que leur stagiaire de 22 ans avait suivi des cours d’art à la faculté, le défient de décorer la page d’accueil pour célébrer le 14 Juillet en France. Un premier dessin diffusé internationalement qui signera le début de sa carrière de responsable des Doodles. Les médias anglo-saxons disent de lui qu’il a été « l’artiste inconnu le plus célèbre au monde », étant donné que ses créations ont été vues des milliards de fois. Une activité populaire qui n’a toutefois occupé que 20 % de son emploi du temps jusqu’à 2011, date de son départ pour Niantic, alors filiale de Google.

Le Doodle célébrant les 30 ans de Pac-Man cachait un mini-jeu. / Google

Pour l’épauler et face à l’augmentation des projets de Doodles, Google compose une équipe spéciale : une quinzaine d’illustrateurs et d’ingénieurs appelés les « Doodlers », dirigés par Ryan Germick à la suite de Dennis Hwang. Travaillant au siège de l’entreprise, à Mountain View, en Californie, les Doodlers revendiquent une certaine liberté artistique. Des internautes échafaudent même des théories selon lesquelles ils cacheraient des surprises dans leurs Doodles. A la fin des années 2000, ils cherchaient par exemple à prouver que les créateurs inséraient dans les Doodles des « triforces », symboles inspirés des jeux vidéo Zelda. Plus récemment, les équipes ont innové en proposant des Doodles interactifs, tel celui fêtant les 30 ans du jeu Pac-Man, en 2010, ou en vidéo, avec un hommage à John Lennon ou à Charlie Chaplin. En mai 2018, les Doodlers mettent au point leur première expérience en réalité virtuelle inspirée de Georges Méliès.

John Lennon Google Doodle
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Booster les requêtes

Si Google consacre une équipe à gribouiller, c’est parce que, au-delà de l’image sympathique que renvoient les Doodles, ces initiatives rapportent, mine de rien, des pages vues. La recherche de certains mots-clés est parfois même multipliée par des dizaines de milliers de requêtes quand elle est en lien avec un Doodle. Ainsi, il n’est pas rare que face à une affluence inhabituelle, certains petits sites faisant référence à un événement ou à une personnalité célébrée dans un Doodle se retrouvent paralysés. Il y a dix ans, Dennis Hwang confirmait déjà à CNN le problème : « Il arrive malheureusement que nous provoquions la chute d’un site », ajoutant que cela les obligeait à changer la requête vers laquelle le Doodle pointait, afin que les sites exposés varient dans la journée.

Quand les internautes ne savent pas à qui ou quoi il est rendu hommage, ils doivent cliquer sur le Doodle pour obtenir la réponse. Ici, il célèbre (en 2014) le 119e anniversaire de la naissance d’Anna Freud, fille de Sigmund, experte en psychanalyse des enfants. / Google

De même, occupant une place de choix dans les cultures Web, les Doodles sont largement relayés en ligne par certains médias, leur permettant de s’inscrire dans les tendances du moteur de recherche, et de profiter de l’effet d’aubaine. Pas besoin, ici, de faire un dessin.

La stratégie des Doodles a d’ailleurs dès le début été confiée au département marketing du géant de la Silicon Valley, d’abord sous la houlette de Susan Wojcicki, une historique de l’entreprise et véritable tacticienne des revenus. De même, il aura fallu dix ans aux fondateurs de la firme pour pouvoir breveter les Doodles. Déposé en mars 2011 par Sergey Brin lui-même, le document ne mentionne pas le terme anglais de « gribouillage », mais ne laisse aucun doute sur son motif profond. Le brevet est intitulé : « Systèmes et méthodes pour inciter les utilisateurs à accéder à un site Web. »

Des choix parfois controversés

Passé plutôt inaperçu en Europe, le brevet a suscité de nombreuses critiques aux Etats-Unis, son pays de dépôt, certains éditorialistes jugeant « absurde » de pourvoir obtenir l’exclusivité d’une idée aussi banale que le changement épisodique de logo et de permettre à Google d’être les seuls à détenir un concept qu’ils n’ont probablement pas été les premiers à décliner.

Et les petites illustrations n’ont pas toujours ravi ni fait consensus. Les ayants droit de l’artiste Joan Miro ont, par exemple, mal goûté l’hommage qui lui fit rendu sans autorisation en 2006. La célébration du 50e anniversaire du lancement du satellite russe Spoutnik 1 déplut également à certains Américains ayant connu la guerre froide. De même, alors que des patriotes reprochaient à Google de ne célébrer que trop rarement le sacrifice de soldats américains, le dessin pour la journée des anciens combattants de 2010 (« Veterans Day ») provoqua une polémique : pour le Tea Party notamment, le drapeau cachant le « e » du logo esquisse un croissant rouge, symbole de l’islam.

Le Doodle du « Veterans Day » de 2010 a fait polémique. / Google

Plus largement, des conservateurs ou des sympathisants d’extrême droite contestent régulièrement des choix de dessins qu’ils estiment trop progressistes ou anticréationnistes, à l’image en 2009 de celui sur la découverte de Darwinius masilae, dont le nom rend lui-même un hommage au père de la théorie de l’évolution. « La procédure de sélection des Doodles vise à célébrer des événements et des anniversaires intéressants qui reflètent la personnalité de la société Google et son goût pour l’innovation », assume de son côté Google.