Sheryl Sandberg (Facebook) et Jack Dorsey (Twitter), n’ont guère été malmenés par les sénateurs qui les interrogeaient sur les risques de manipulation. / JIM BOURG / REUTERS

Etait-ce parce que de nombreux sénateurs interrogeaient au même moment le prétendant à la Cour suprême Brett Kavanaugh ? Ou parce que les élus ont déjà fait le tour de la question lors des précédentes auditions sur le sujet ? Toujours est-il que l’audition, par la commission du renseignement du Sénat américain, des patrons de Facebook et de Twitter, ce 5 septembre, n’a donné lieu à aucun feu d’artifice.

Pourtant, en amont de cette audition théoriquement consacrée aux « campagnes d’influences électorales » étrangères, la commission avait tapé du poing sur la table, en invitant les dirigeants du plus haut niveau de Google, de Facebook et de Twitter. Les parlementaires américains ont interrogé, durant trois heures, Jack Dorsey, le PDG de Twitter, et Sheryl Sandberg, la toute-puissante numéro deux de Facebook.

Mais un invité manquait à l’appel : le cofondateur de Google, Larry Page, avait fait savoir qu’il ne serait pas présent — ce qui avait provoqué la colère de la commission.

Peu de questions qui fâchent

Même si le sénateur Mark Warner a dit sa déception de ne pouvoir poser « les questions difficiles » qu’il avait préparées pour l’entreprise, l’absence de M. Page a été à peine évoquée. Tout comme d’autres sujets qui fâchent : les républicains, qui accusent de plus en plus violemment les réseaux sociaux de « censurer » les conservateurs, ne se sont approchés du sujet qu’avec d’infinies précautions. Le contraste avec les accusations véhémentes du président Trump, qui accuse désormais ouvertement Google comme Twitter de censure, était frappant.

Même le très conservateur Marco Rubio a préféré les interroger sur les rapports qu’entretiennent ces deux entreprises avec la Chine. Du côté des démocrates, les attaques violentes sur leur inaction coupable contre les fausses informations ont également été beaucoup plus prudentes que lors de précédentes auditions.

Résultat : des questions dans leur très grande majorité très convenues, qui ont parfois donné à cette audition l’aspect d’une conférence de trois heures sur le fonctionnement des réseaux sociaux. Jack Dorsey devrait être confronté à une opposition plus virulente lors de son audition à la Chambre des représentants, ce même mercredi, où il devra répondre à des questions sur le prétendu biais de son service en défaveur des conservateurs.

« Des choses très positives »

L’ambiance était nettement plus détendue que lors de l’audition de Mark Zuckerberg, en avril, juste après le scandale Cambridge Analytica. Certains sénateurs, pourtant virulents par le passé, ont même félicité les deux entreprises pour leurs actions prises ces derniers mois.

« Il ne fait pas de doute qu’il y a eu des choses très positives », a estimé le président de la commission, Richard Burr. « Il faut du courage pour dénoncer des acteurs étatiques, et vos entreprises l’ont fait. » Mark Warner, pourtant une des voix les plus critiques sur le rôle des grandes plates-formes de la Silicon Valley lors de l’élection de 2016, s’est dit « impressionné » par les efforts déployés par Twitter.

Très calmes et pondérés, les représentants de Facebook et de Twitter n’ont jamais réellement été mis en difficulté. Quelques questions plus incisives, sur la présence de Facebook au Vietnam ou sur les revenus tirés des contenus publiés par les agents d’influence russes, ont été rapidement évacuées par Sheryl Sandberg. Jack Dorsey a de son côté détaillé ses récentes déclarations sur la nécessité d’un changement de modèle pour son réseau social. « Nous devons remettre en question les incitations fondamentales de nos produits », a-t-il dit, expliquant qu’il était par exemple nécessaire de moins mettre l’accent sur le nombre d’abonnés, l’un des principaux moteurs psychologiques qui incitent les utilisateurs à revenir sur Twitter : « Ce qui fonctionnait il y a douze ans ne fonctionne plus aujourd’hui. »

Alex Jones à deux doigts de l’esclandre

Le très populaire animateur radio conspirationniste Alex Jones avait fait le déplacement jusqu’à Washington pour assister à l’audition. Il fait partie de ceux qui estiment que les grands réseaux sociaux censurent les conservateurs. / JIM BOURG / REUTERS

Le contraste entre l’audition et ce qui s’est déroulé devant les portes de la salle était d’autant plus saisissant. Avant le début de l’audition et pendant une demi-heure, Alex Jones, le très influent et populaire conspirationniste banni de Facebook cet été et temporairement suspendu par Twitter, avait improvisé une conférence de presse dans les couloirs du Sénat. Evoquant pêle-mêle un réseau pédophile protégé par le parti démocrate, ou encore le complot des réseaux sociaux, de mèche selon lui avec le Parti communiste chinois, l’Union européenne et le New York Times, pour le « réduire au silence ».

« Attendez deux semaines », a dit M. Jones, qui a ensuite assisté – en silence – à l’audition. « Le président Trump va prendre un décret », a-t-il affirmé, refusant de détailler la source de cette affirmation ou le contenu dudit décret. « La gauche a recréé le nazisme aux Etats-Unis… C’est cent fois pire que ce qu’a fait McCarthy », a-t-il lancé. Durant la pause, M. Jones a apostrophé le sénateur républicain Marco Rubio, peu susceptible d’être un allié des démocrates. Le ton est monté entre les deux hommes, qui ont même manqué de peu en venir aux mains.