Google+ a vu le jour en 2011.

En vingt ans de présence sur le Web, Google a essayé plusieurs fois de lancer son propre réseau social. La dernière tentative date de 2011, avec la création de Google+. Alors présenté par certains comme le fossoyeur de Facebook, le réseau social revendiquait pas moins de 90 millions d’utilisateurs actifs, à peine six mois plus tard. Mais, arrivé bien après Facebook et Twitter, le soufflé est vite retombé, et la plate-forme est depuis la cible régulière de moqueries. L’annonce, le 23 août, de la fermeture de la page Google France sur Google+, n’a pas arrangé les choses. La presse spécialisée a alors usé d’une ironie mordante. « On ne pouvait pas ne pas signaler cette nouvelle qui sonne un peu plus le glas de Google+, nous qui avons tant aimé troller gentiment sa communauté pendant toutes ces années », pouvait-on ainsi lire sur Le blog du modérateur.

Les moqueries à l’égard de Google+ sont légion sur les autres réseaux sociaux.

Il est vrai qu’en 2018, en se baladant sur les pages de Google+, on se sent un peu comme l’étranger débarqué dans une ville de western aux rues désertes, des virevoltants traversant l’écran. Mais si l’animation extérieure laisse à désirer, certains bâtiments alentour sont en fait pleins de vie. « Le truc avec Google+, c’est que beaucoup d’échanges se passent en privé, à travers des cercles imperméables, explique Simon Forgues, agent de développement et communication pour l’Alliance des radios communautaires du Canada et adepte du réseau social. Donc quand on jette un coup d’œil sur des comptes, on a l’impression qu’ils ne sont pas du tout actifs, alors que la majorité, voire la totalité, de leurs échanges se passent en privé. »

De même, la majeure partie des utilisateurs publiant du contenu public ne permettent pas à n’importe qui de commenter leurs posts ou de les contacter. Pour entrer en contact avec les membres du réseau sans y être connu, nous avons donc posté un message dans une « communauté » ouverte dédiée au fonctionnement de Google+. Ce message a suscité pas moins de 85 commentaires et une vingtaine de « +1 », les « j’aime » locaux, et ce en trois jours. Pas mal pour une plate-forme réputée déserte.

Pour ceux « qui en avaient assez des “lolcats” »

En parcourant le site, on trouve effectivement des dizaines de communautés réunissant des milliers, parfois des centaines de milliers d’abonnés. Difficile de savoir si ces derniers ne se sont pas inscrits en 2011 avant de laisser leur compte à l’abandon. Mais ces communautés parfois « plus actives que certains forums », selon Pierre-Henri Beguin, responsable de projet informatique, restent extrêmement diversifiées dans leurs thématiques.

Cet état de fait rend les blagues sur l’inactivité du réseau social plus irritantes encore pour ses adeptes. Simon Forgues se souvient du jour de la mort d’Alan Rickman, l’interprète de Severus Rogue dans la saga Harry Potter, en 2016 : « Daniel Radcliffe, l’acteur principal de la série, publie un texte à propos du décès de l’acteur sur Google+. Le jour même, Business Insider publie un texte dans lequel ils écrivent que le choix de Radcliffe est étrange vu que personne n’utilise vraiment Google+. Son message a généré 24 814 “+1” et 3 660 partages. Mais bien sûr, personne n’utilise Google+ », ironise-t-il.

Outre certaines fonctionnalités que proposait Google+ lors de ses premiers pas (les cercles notamment, qui permettaient de séparer ses abonnés et de cibler ses publications en fonction), c’est la qualité humaine du réseau que plébiscitent ses aficionados. Pour François Bacconet, un autre utilisateur, « ce qui faisait tout le charme de l’outil au début, c’étaient ses utilisateurs : les posts pouvaient être très longs, avec des discussions très intéressantes, le tout dans un environnement sans pub ! ». Une qualité de contenu qui reste encore aujourd’hui l’argument numéro un des défenseurs de Google+. « Le site a une vraie valeur ajoutée », estime Emmanuelle Dupuis, webmaster et community manager. Avant de préciser :

« Il a malheureusement été souvent mal connu, mal aimé, et beaucoup ont préféré communiquer sur Facebook, sans essayer d’exploiter le potentiel de Google+. C’est dommage car ce réseau apporte beaucoup au niveau de la qualité des échanges, et la richesse de ses communautés lui permet de proposer avec un contenu attractif, divertissant, et original. J’ai testé Facebook et Twitter pour partager des contenus, mais là où j’ai pu avoir les meilleures expériences, c’est sur Google+. »

« Pour faire simple, résume Jean-Baptiste Sauvage, chef de projet en recherche et développement, Google+ est un réseau où les personnes qui en avaient assez des “lolcats” et trolls se sont retrouvés. »

Google fait profil bas

Mais après un lancement en fanfare en 2011, Google a avancé à tâtons, ne sachant pas trop comment présenter ce nouvel outil, à mi-chemin entre le réseau social et l’outil de mise en commun de tous les autres services Google. En forçant la main aux utilisateurs de ces autres services pour se créer un compte Google+, l’entreprise a non seulement réussi à gonfler ses chiffres, mais aussi à braquer, au passage, bon nombre d’internautes. Et alors que les profils devaient être certifiés aux prémices de l’outil, Google a ouvert la porte aux pseudonymes et, logiquement, aux trolls en tout genre.

Olivier Jobert, développeur logiciel et utilisateur des premières heures de Google+, dresse un bilan plutôt maussade :

« Pour moi, le taux de spams record, les bugs récurrents et le retrait de nombreuses fonctionnalités, liées par exemple aux photos, ont généré un exode des “power users” et rendent aujourd’hui le médium beaucoup moins attractif. Quand on parle de Google+ à certains employés de la firme, ils rigolent et éprouvent même une certaine pitié pour les utilisateurs. J’ai adoré cette plate-forme, j’y ai rencontré plein de personnes, mais être confronté au Google+ d’aujourd’hui, cela me rend juste triste, c’est vraiment dommage d’en être arrivé là. »

Aujourd’hui, s’il y a bien un supporteur qui manque à l’appel lorsque l’on évoque Google+, c’est bien l’entreprise elle-même. « Clairement, le fait que Google ne fasse pas ou très peu de communication de son réseau n’a pas joué en sa faveur sur le nombre de personnes inscrites. Mais cela a un atout majeur : seuls ceux avec l’envie de rencontrer d’autres personnes avec les mêmes intérêts sont restés. C’est ce qui fait la force de Google+ », affirme Hugo Ballester, commercial et Google-addict assumé.

Signe du peu d’intérêt accordé par la firme de Mountain View à son réseau social : les chiffres concernant Google+ ne sont plus communiqués depuis plusieurs années. Il est donc impossible de savoir combien d’utilisateurs y sont encore fidèles. Logiquement, la rumeur de la mort du réseau social resurgit de manière périodique – la clôture du compte Google France l’a d’ailleurs relancée.