Au deuxième jour du procès Méric, Alexandre Eyraud et son père déposant à la barre à propos de la personnalité de son fils, à la cour d’assises de Paris, le 5 septembre. / AUREL

Etre parent n’est pas chose aisée, encore moins lorsqu’il s’agit de parler de son enfant devant une cour d’assises. Jean-Michel Dufour est du genre taiseux. Alors, au moment d’évoquer la personnalité de son fils Samuel, jugé à Paris pour avoir participé à la rixe entre militants d’extrême droite et militants antifascistes lors de laquelle Clément Méric est mort, en 2013, il était peu probable qu’il devienne soudain bavard.

Que dire face à ce tribunal ? Le monde judiciaire, cet agent d’entretien au chômage dit ne pas le connaître, sauf ce qu’il en a vu « à la télévision ». Il ne le comprend pas. « Qu’est-ce que vous voulez entendre ? », demande-t-il à la présidente, Xavière Siméoni. La juge l’invite à évoquer la jeunesse de son fils. « Je ne sais pas quoi dire », s’obstine-t-il. A la barre, il ne sait que faire de ses mains, les place tour à tour devant ou derrière lui. « En tant que père, il est parfait, c’est mon fils », tente Jean-Michel Dufour, cheveux gris et coupés ras. Lui se dit « de droite ». Dans la famille, « on essaie d’être le plus droit possible ». On n’en saura pas bien plus.

Mercredi 5 septembre, lors de la deuxième journée d’audience, les parents de deux des trois co-accusés, Samuel Dufour et Alexandre Eyraud, ont été appelés à témoigner. Ceux d’Esteban Morillo avaient été entendus la veille au soir. Du fait de leur lien familial avec les accusés, ils n’ont pas eu à lever la main droite et jurer de dire la vérité. Face à eux, les questions des magistrats et des avocats se sont faites moins insistantes, moins piquantes. Comme si la rudesse du procès faisait une pause.

Déni, incompréhension, aveuglement

A la barre ont défilé une assistante de vie, des chômeurs proches de la retraite, et un déontologue travaillant pour une banque. A leur manière, tous ont raconté comment ils ont vécu la radicalisation de leur fils vers le milieu des skinheads d’extrême droite.

Consciemment ou pas, tous évoquent aussi leur propre déni, leur incompréhension ou leur aveuglement. « J’ai malheureusement pris conscience assez tard de ce phénomène, assure Didier Eyraud. Je savais qu’il participait à des manifestations, ça m’inquiétait. » Quand son fils, Alexandre, était plus petit, il l’emmenait visiter des lieux historiques – Verdun, les plages du débarquement… – pour l’éveiller à l’histoire de France.

Ce cadre de 58 ans, séparé de sa femme, rappelle le contexte familial compliqué dans lequel a grandi son fils unique. « C’était pas un garçon qui était là pour rechercher l’affrontement, je pense qu’il était là pour s’affirmer », résume-t-il à propos de son engagement dans un groupuscule d’extrême droite. Ni les avocats, ni les juges ne demanderont au père pourquoi il tenait tant à sensibiliser son enfant au sujet de la guerre d’Indochine.

Rémi Crosson du Cormier, avocat général, au deuxième jour du procès Méric à la cour d’assises de Paris, le 5 septembre. / AUREL

« Bon garçon », « pas méchant », « quelqu’un de posé » : à leur manière, les parents se transforment parfois en avocats. Jacqueline, la mère de Samuel Dufour, trouve « injuste » la situation actuelle. « Il est innocent, c’est mon fils. Cette bagarre n’aurait pas dû arriver et ça s’est mal fini. » Comme son mari, Jean-Michel, elle n’est pas à l’aise avec les mots.

« Pensées aux parents de Clément Méric »

Cette famille, que leur fils a lui-même qualifiée de « patriote », constituait-elle un terreau favorable aux dérives ? Des idées bien à droite, peut-être, mais le couple réfute toute violence. Quand la présidente l’interroge sur l’Allemagne nazie, Jacqueline assure ne pas savoir ce qu’est le IIIe Reich. « Chacun a un peu ses idées et malheureusement, avec les fréquentations, ça donne pas toujours au mieux », dit-elle un peu plus tard, pour résumer le parcours de son fils. Depuis son passage en prison, en détention provisoire, « il est plus calme, plus rangé ».

« Je ne savais pas bien ce qu’il faisait, je partais à 5 h 30 du matin et revenais à 8 heures du soir, explique Manuel Morillo à propos de sa relation avec Esteban. Et quand je le voyais le week-end, je voulais profiter de lui, pas parler de politique. » « Je l’ai engueulé pour les tatouages » nazis, assure-t-il. Mais l’homme ignore à quoi faisait référence l’inscription « travail, famille, patrie » sur l’avant-bras de son fils.

Parmi les cinq pères et mères entendus, deux seulement ont tenu à mentionner une autre famille que la leur. Didier Eyraud a commencé sa déposition en adressant ses « pensées aux parents de Clément Méric ». Colette Morillo souhaitait aussi leur « dire un mot : on a beaucoup pleuré avec eux ».

Assis au deuxième rang de la salle, derrière leurs avocats, Agnès et Paul-Henri Méric, discrets et soudés, écoutent depuis deux jours les débats. Ils devaient être entendus mercredi, mais les retards dans le déroulement de l’audience auraient conduit à les entendre tard dans la nuit. « Par respect », la présidente du tribunal a donc décalé à jeudi leurs témoignages.