Le roi du Swaziland, Mswati III, à Lobamba, le 31 août 2015. / GIANLUIGI GUERCIA / AFP

Le 6 septembre est un jour férié en eSwatini. Il y a cinquante ans, ce petit Etat d’Afrique australe, coincé entre le Mozambique et l’Afrique du Sud, obtenait son indépendance du Royaume-Uni. Mais dans les rues de l’ex-Swaziland, aucune célébration officielle n’est prévue : le roi Mswati III, dernier monarque absolu d’Afrique, a décidé de les avancer à avril pour les faire coïncider avec son propre 50e anniversaire.

A cette occasion et à la surprise générale, Mswati III a annoncé que le royaume changerait de nom. « A leur indépendance, tous les pays africains ont repris leur ancien nom, celui d’avant la colonisation. Donc à partir de maintenant, le pays s’appellera officiellement le royaume d’eSwatini », a-t-il déclaré le 19 avril. Ce « cadeau » laisse dubitatifs les spécialistes, qui jugent la mesure inconstitutionnelle et estiment son coût à 5 millions d’euros, compte tenu du fait qu’il faut remplacer les panneaux et les inscriptions de tous les bâtiments officiels.

« Le Swaziland a 50 ans mais nous n’avons absolument rien à célébrer. Le pays est géré comme l’entité privée du roi et de la famille royale », déplore Lucky Lukhele, un opposant en exil installé à Johannesburg, à 350 km de Mbabane, la capitale. Membre du Pudemo, le mouvement de libération swazi, ce militant a quitté son pays en 1998. Il ne peut plus y mettre les pieds sous peine d’être emprisonné.

« Une élection de façade »

L’avocat Thulani Maseko le sait bien : il a fait de la prison entre 2014 et 2015 pour avoir critiqué le système judiciaire. Pour lui, la perspective des élections législatives du 21 septembre n’apporte aucun espoir. « Ce scrutin n’est qu’une élection de façade : les partis politiques sont interdits et le roi choisit le premier ministre et une partie des députés. Il n’y a aucun enjeu », affirme-t-il depuis Mbabane.

L’eSwatini est une monarchie absolue, mais il n’en a pas toujours été ainsi. « Le Swaziland s’est vu servir sont indépendance sur un plateau, personne n’a eu à se battre », rappelle Lucky Lukhele. Les premières années, le pays disposait d’une Constitution inspirée du modèle britannique de Westminster. Mais en 1973, le roi Sobhuza II, avec le soutien du régime sud-africain de l’apartheid, décida de suspendre la Constitution et de gouverner par décrets. Depuis, la vie politique est au point mort. La presse est très fortement contrôlée et les opposants persécutés. « Il suffit de porter un tee-shirt du Pudemo pour être battu à mort par la police », affirme le militant.

D’apparence calme et paisible, les paysages bucoliques et verdoyants d’eSwatini cachent une société en souffrance et une économie en déliquescence. Le pays a le douzième PIB par habitant d’Afrique, mais les ressources sont concentrées entre les mains de la famille royale et d’une poignée d’entrepreneurs. D’après la Banque mondiale, 63 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Plombées par la sécheresse et la chute des revenus provenant de l’Union douanière d’Afrique australe, les caisses de l’Etat sont vides.

Treize palaces, autant d’épouses

En juin, le gouvernement accusait plus de 200 millions d’euros d’arriérés auprès de ses fournisseurs et luttait pour payer ses fonctionnaires. « Les hôpitaux n’ont plus de médicaments pour traiter les diabétiques, les séropositifs, les tuberculeux. Ce sont juste des salles d’attente avant la morgue », remarque Lucky Lukhele. D’après l’Onusida, l’eSwatini a le plus fort taux de prévalence au monde pour le VIH, soit 27,4 % en 2017.

Le roi du Swaziland, Mswati III, à Pretoria, en Afrique du Sud, le 20 août 2017. / GULSHAN KHAN / AFP

Au pouvoir depuis 1986, Mswati III ne s’est pas empêché pour autant de célébrer son anniversaire avec faste. En avril, le gouvernement lui a payé un Airbus A340 à 26 millions d’euros pour ses déplacements privés. Les organisations internationales critiquent depuis longtemps son train de vie dispendieux, avec ses treize palaces, sa collection de voitures de luxe et ses escapades à l’étranger. Pour mieux en rire et la dénoncer, le groupe Facebook « Swazi Royal Leeches Lifestyle » (« la vie des sangsues royales swazi ») chronique la vie démesurée de la famille royale et s’amuse à dénombrer le prix de ses coûteuses montres.

Pour subventionner ses treize épouses et sa vingtaine d’enfants, Mswati III ponctionne chaque année 8 % du budget de l’Etat. Il impose aussi à chaque entreprise désireuse de s’implanter en eSwatini une prise de participation par un fonds souverain qu’il contrôle. La position des reines n’est pas nécessairement à envier : ces dernières années, deux ont fui le pays et l’une est morte d’une overdose en avril. « Non seulement le roi abuse de la nation swazie, mais en plus il maltraite les personnes qu’il prétend aimer », résume Lucky Lukhele.