Catherine Jousselme, pédopsychiatre et chef du pôle enseignement-recherche de la Fondation Vallée, à Gentilly (Val-de-Marne).

Eduquer pour faire croître et non pour « casser » les vocations. Tel devrait être le centre de nos préoccupations, selon Catherine Jousselme, pédopsychiatre et chef du pôle enseignement-recherche de la Fondation Vallée, institution de soins en pédopsychiatrie située à Gentilly (Val-de-Marne). Au sein d’une société « méprisante par son élitisme », elle s’inquiète de voir monter le stress chez des jeunes dont les passions et compétences n’ont été ni repérées ni cultivées par le système scolaire.

Pour une pédopsychiatre, la procédure Parcoursup, c’est quoi ?

Catherine Jousselme : Parcoursup et admission post-bac (APB), qui l’a précédé, ne diffèrent pas radicalement : des étudiants de plus en plus nombreux à répartir le moins injustement possible, pour que chacun puisse obtenir la formation qu’il souhaite. L’idée est de trouver le moins mauvais des systèmes de sélection. APB utilisait dans certaines filières le tirage au sort : pour moi, c’est choquant et pas du tout égalitaire ! Tirer au sort des choix de vie donne l’impression aux jeunes qu’on joue aux dés, pire à la roulette russe, leur avenir.

Parcoursup s’articule à la réforme du bac 2021, qui n’est pas encore en place. Donc les générations actuelles sont entre deux et c’est très compliqué. Et puis en France, la sélection par l’échec est une coutume. « Tu ne pourras pas aller en S », « tu finiras en bac pro »… Nous fabriquons une classe de jeunes honteux de ce qu’ils sont, et de « ne pas avoir le niveau ». Certaines séries sont toujours vues comme des dépotoirs. Comment considérerait-on l’élève Victor Hugo aujourd’hui, alors que la filière littéraire est encore dévalorisée ? Finalement, le sujet de la sélection n’est pas tant APB ou Parcoursup, il se situe bien en amont.

Qu’a changé Parcoursup dans la vie des lycéens ?

Parcoursup – comme APB – demande aux élèves de se projeter après le bac alors qu’ils ne l’ont pas encore. Faire ses choix d’orientation en janvier, c’est délirant ! Et avoir des réponses positives ou négatives avant même les épreuves écrites du bac, ça met une pression difficile à gérer pour beaucoup. Le critère principal de cette sélection reste les bulletins scolaires de première et ceux du premier trimestre de terminale : comment garder l’envie d’apprendre dans ces conditions ?

La gestion de l’attente est de plus en plus anxiogène. Avec l’application Parcoursup, le stress de la vérification est quotidien. Ça peut vraiment devenir maltraitant ! Parmi les candidats encore en attente cet été, les plus sages auront éteint leur portable et confié à des proches la mission de faire le point. Les plus fragiles seront restés collés à leur téléphone avec une tachycardie matinale et la sensation d’être « pas comme les bons qui savent déjà où ils vont ».

Et si l’attente est compliquée pour tous, elle l’est souvent plus pour les jeunes qui sont en province : « J’habite à Briançon. Vais-je finalement aller à Lille ou à Marseille pour faire ce que je veux ?… Quand la réponse ne tombe que le 5 septembre, si vous n’avez pas les moyens pour louer illico une chambre à n’importe quel prix, vous ne pouvez pas vous permettre d’attendre : vous lâchez vos rêves et vous choisissez « petit », en amont, le plus « faisable ». A moins que les cités universitaires retardent leurs délais d’inscription…

Le stress doit-il faire partie intégrante de l’orientation ?

Le moins possible au contraire ! On sait aujourd’hui qu’un stress important prolongé est extrêmement néfaste pour le corps humain, facteur aggravant, voire déclenchant, de certains états inflammatoires, d’épisodes dépressifs… C’est aberrant d’associer obligatoirement stress et orientation ! Certes, dans la vie il faut apprendre à se battre. Mais c’est grâce à la passion, à la motivation et aux liens avec les autres qu’on arrive à donner le meilleur de soi-même. Pas grâce au stress ! Si on écrase l’autre pour avancer, c’est la haine qui monte, pas l’humanité, qui pour moi doit rester la valeur centrale de notre société.

A quel moment les enfants découvrent-ils la notion de sélection ?

Très tôt malheureusement… Dès la petite section de maternelle, quand l’enseignant lit une histoire, les enfants qui ont l’habitude des livres depuis toujours naviguent facilement dans l’organisation temporelle (début, cheminement, fin). Mais ceux pour qui c’est nouveau sont perdus. Alors il y a ceux qui s’agitent et sont vite punis, ceux qui s’inhibent, mais ne gênent personne, ceux qui gardent l’envie de s’accrocher. D’emblée, les enfants qui apprécient la lecture se distinguent de ceux qui restent « à côté » de l’histoire. Ce sont ces derniers qu’il faut aller chercher, au risque de les perdre et de cliver la classe, en oubliant la richesse qu’ils peuvent apporter au groupe à leur façon, avec leurs outils propres. C’est pour cela qu’il est si important d’avoir des classes à petits effectifs, avec des enseignants formés.

Les bulletins scolaires, à leur manière, creusent aussi les écarts. Dans mes consultations, j’en vois de toute sorte : avec des notes, des couleurs, des « notions acquises », « en cours d’acquisition », etc. La façon de rendre compte des résultats des élèves diffère selon les établissements, cela pose question dans un pays où la scolarité est censée être la même pour tout le monde. L’enfant qui est déjà dans les notes comprend tout de suite la sélection par les résultats scolaires. Comment permettre à chacun de développer au mieux toutes ses capacités si les élèves eux-mêmes construisent leurs valeurs identitaires à partir de leurs notes, de la nature de leur série (la sacro-sainte « S sinon rien »…) ou de l’estampillage de leur lycée (avec cette idée qu’un 16/20 ici ne vaut pas un 16 là…) ? Quelle société méprisante dans son élitisme…

Que pourrait-être une sélection juste ?

Un système qui repère les capacités des jeunes plus qu’il ne les sélectionne. Ça me fait penser à la classification internationale des handicaps : on est passé de « Ce patient est inadapté à… » à « Ce patient est en capacité de… ». Il faut s’appuyer sur le positif plutôt que de sélectionner par le négatif. Faire pousser, faire grandir, faire germer, c’est éduquer au sens propre du terme. Il faut que les enseignants et le système scolaire n’aient de cesse de penser à cela. Qu’on arrête de vouloir faire entrer les élèves dans des boîtes à chaussures prédéterminées, qui ne correspondent pas à leur pointure.

Repérer très tôt les passions, les talents et les cultiver permettrait d’aller vers des choix en positif. Actuellement il n’est pas facile pour des parents de positiver ces talents parfois originaux (les métiers d’art et d’artisanat par exemple) quand ce qui leur est donné à voir ce sont les minces possibilités locales d’orientation. Ils doivent se battre pour que s’impose une orientation valorisante pour leurs enfants. Pour trouver la bonne piste il leur faut assez d’estime d’eux-mêmes et de ressources – y compris parfois financières…

S’il me paraît contreproductif de vivre dans le monde des Bisounours, en alimentant des rêves, sans tenir compte de la réalité des capacités de chacun, il me paraît très grave de laminer la créativité de certains, parce qu’on n’a pas cherché à l’analyser et à la comprendre. Pour avancer ensemble dans une solidarité qui seule fait le ciment des sociétés solides, il faut éviter la stigmatisation, l’humiliation, les choix par défaut et par facilité. Un être humain, a fortiori quand il est jeune, c’est une promesse de multiples bourgeons et l’arbre de la vie doit toujours rester vert.