Bâtiment inspiré du biomimétisme marin. / GLOWEE

Et si les solutions étaient là, autour de nous, tout « simplement » ? C’est ce que laisse entendre le concept de biomimétisme : s’inspirer de la nature pour innover et construire une économie sans pollution et à très faible impact. « Nous avons tout à apprendre de la nature en matière d’innovation, explique le biologiste Gilles Boeuf, professeur à l’université Pierre-et-Marie-Curie. Elle innove tous les jours, elle le fait avec une grande parcimonie d’énergie, sa principale source étant la lumière. Elle ne produit jamais une molécule qu’elle ne saura pas dégrader, et elle est pourtant capable de produire des poisons. »

Pépites entrepreneuriales

Si le terme de « biomimétisme » a été conceptualisé à la fin des ­années 1990, la démarche connaît une accélération depuis quelques années, avec quelques pépites ­entrepreneuriales. « Le biomimétisme marin est celui qui offre le plus de potentiel, relève Kalina Raskin, directrice du Centre européen d’excellence en biomimétisme de Senlis (Ceebios). Sur 3,8 milliards d’années d’évolution des espèces, nous en avons passé 3 milliards dans l’eau. Les organismes marins ont développé des stratégies extrêmement sophistiquées pour survivre dans le milieu océanique. »

« Sur 3,8 milliards d’années d’évolution des espèces, nous en avons passé 3 milliards dans l’eau. »

Dans l’eau, l’oxygène et les nutriments sont dissous. Les organismes ont ainsi développé des systèmes de respiration performants leur permettant d’extraire l’oxygène de l’eau, ainsi que des molécules de transport du dioxygène particulièrement efficaces. Franck Zal, chercheur au CNRS pendant quinze ans, s’est intéressé aux ­capacités respiratoires des arénicoles, ces vers auxquels on doit les petits tortillons de sable sur les plages. « Dans l’eau, ce ver respire, mais à marée basse il peut rester en apnée pendant six heures, précise le chercheur. Son hémoglobine est capable de stocker suffisamment d’oxygène pour qu’il continue à ­vivre à marée basse, comme s’il ­utilisait une bouteille d’oxygène. Cette hémoglobine est extracellulaire et n’a pas de typage sanguin type ABO ni de rhésus. »

Un ver marin donneur de sang universel ?
Durée : 07:53
Images : Universcience, Arte France, Effervescence Label, Académie des technologies.

Une sorte d’hémoglobine universelle qui a la particularité d’être 250 fois plus petite qu’un globule rouge humain, tout en transportant quarante fois plus d’oxygène. Depuis 2007, Franck Zal s’emploie à transposer cette découverte à des fins médicales et industrielles. L’un de ses dispositifs, qui devrait bientôt recevoir l’homologation, a été testé sur l’homme pour ­conserver des greffons rénaux en attente de transplantation, afin de passer de six heures à plusieurs jours. Les premières études sont concluantes. « Les patients qui ont bénéficié d’un rein conservé grâce à notre dispositif sont sortis de ­l’hôpital au bout d’une semaine en moyenne contre un mois pour les autres patients », affirme Franck Zal. Le chercheur a aussi développé un pansement oxygénant visant à accélérer la cicatrisation de certaines plaies, ou encore un substitut aux globules rouges testé par la marine américaine pour traiter les traumas crâniens.

« Les patients qui ont bénéficié d’un rein conservé grâce à notre dispositif sont sortis de ­l’hôpital au bout d’une semaine en moyenne contre un mois pour les autres patients. »

Des débouchés inattendus

Le biomimétisme trouve d’autres débouchés plus inattendus. Dans le secteur de l’énergie, les capacités d’ondulation des ­anguilles et des raies pour résister aux courants et turbulences sous l’eau ont inspiré la start-up Eel Energy, qui a développé des hydroliennes d’un nouveau genre. Au lieu d’être équipées d’hélices, ces hydroliennes sont des membranes ondulantes qui imitent les poissons pour produire de l’énergie grâce aux courants marins. La membrane en fibre de verre et renforcée par des fibres de carbone est recouverte d’un caoutchouc résistant aux déchirures et aux abrasions. Les premiers prototypes ont été testés cet été avec des résultats très concluants. Une levée de fonds de plusieurs millions d’euros est en cours.

Ces hydroliennes sont des membranes ondulantes qui imitent les poissons pour produire de l’énergie grâce aux courants marins.

Autre pépite française, la start-up Glowee s’est intéressée aux propriétés bioluminescentes des organismes marins pour développer des systèmes de lumière biologiques et vivants. Dans les eaux profondes, 80 % à 90 % des espèces ont développé la capacité d’émettre de la lumière pour ­assurer des fonctions essentielles, se nourrir, trouver un partenaire pour la reproduction ou se protéger contre des prédateurs. « Nous utilisons un gène responsable de la bioluminescence que nous intégrons ensuite à des bactéries », ­détaille Ludivine Guérineau, business developer chez Glowee. Cultivées dans un milieu adapté, les bactéries se multiplient seules et sont ensuite encapsulées à l’état ­liquide ou de gel dans des coques organiques transparentes et hermétiques. Plus besoin de se raccorder au secteur, les bactéries produisent une lumière douce jusqu’à épuisement du milieu.

Pour l’heure, la solution de Glowee est utilisée lors d’événements, et comme lumière apaisante en ­espaces de relaxation. « Sur le long terme, nous voulons amener la technologie en extérieur et proposer des alternatives à l’éclairage public, poursuit Ludivine Guérineau. Les LED sont certes moins consommatrices d’énergie que nos anciennes ampoules, mais elles créent beaucoup de pollution lumineuse et nécessitent des métaux rares. »

Puiser des solutions dans le vivant

En France, plus de 175 équipes de recherche ont été identifiées par le Ceebios sur le biomimétisme, et une centaine d’entreprises, grands groupes comme PME, font appel à cette démarche. « Nous avons ­quelques exemples célèbres, mais le biomimétisme n’est pas au cœur des process d’innovation », modère Thomas Binet, directeur du cabinet Vertigo Lab. Aujourd’hui, la plupart des innovations biomimétiques sont le fruit du hasard. « Il faudrait pouvoir systématiser cette capacité des entreprises à ­aller puiser des solutions dans le ­vivant, estime Kalina Raskin. La donnée biologique est abondante, mais on manque d’outils intelligents pour l’explorer. »

« La donnée biologique est abondante, mais on manque d’outils intelligents pour l’explorer. »

Au niveau européen, l’Allemagne est pour l’heure le pays le plus à la pointe sur le biomimétisme, avec plus de cent structures de recherche publiques et deux grands ­réseaux de recherche institutionnels. Depuis 2001, l’Etat y a investi plus de 120 millions d’euros. En France, en région Nouvelle-Aquitaine, cinquante et un acteurs y sont engagés. Le cabinet Vertigo Lab, qui a évalué l’impact économique du développement du biomimétisme dans un rapport publié en avril, considère que celui-ci pourrait être un vecteur de croissance fort pour le territoire. A Biarritz, le maire, Michel Veunac, a annoncé la création d’un pôle d’excellence consacré au biomimétisme marin, sous la houlette du Ceebios. « Nous voulons devenir une référence internationale en matière de matériaux bio-inspirés, en particulier par la mer et les éléments de l’océan », affirme M. Veunac. Reste encore à boucler le budget pour sortir le nouveau bâtiment de terre et lancer ce projet ambitieux.

Glowee est un système vivant de production de lumière biologique, fonctionnant sans électricité, grâce à la bioluminescence. « Glowee, c’est la mer qui nous éclaire », dit la start-up environnementale. / GLOWEE

L’océan sera l’une des grandes thématiques abordées lors du Festival de l’innovation Novaq.

Les 13 et 14 septembre, la région Nouvelle-Aquitaine, en partenariat avec Le Monde, organise deux jours de débats, conférences, pitchs et ateliers au Hangar 14, à Bordeaux.

Scientifiques, experts, entrepreneurs échangeront autour de trois grands thèmes : le cerveau, l’espace et l’océan. Fil rouge de cette édition : l’innovation au service de l’humain.

Programme et inscriptions ici