Un mouton noir ou une surprise inévitable dans la galaxie littéraire ? La publication de la première sélection des 17 romans et 7 essais en compétition pour le Prix Renaudot qui sera décerné le 7 novembre, est marquée cette année par la présence d’un roman auto-édité. Récit sur la vie des Juifs français qui ont émigré en Israël, Bande de Français, de Marco Koskas a été publié le 27 avril à compte d’auteur sur la plate-forme d’auto-édition d’Amazon. Cet ouvrage est vendu à un petit prix (9,97 euros).

Sur la quatrième de couverture figure le nom d’un faux éditeur, « Galligrassud », contraction de Gallimard, Grasset et Actes Sud, un mot-valise constitué des éditeurs qui gagnent les prix littéraires et a désormais remplacé l’historique « Galligrasseuil ». Ce « fake » a d’ailleurs été mentionné par le communiqué du jury en lieu et place du nom du géant américain de la distribution. L’auteur de cette histoire d’alyah – l’immigration d’un Juif en Israël – a déjà publié au fil du temps une quinzaine d’ouvrages, parus de façon très éclectique chez de nombreux éditeurs : aussi bien Fayard, JC Lattès, Grasset, Calmann-Lévy, Julliard, Robert Laffont que La Table ronde… Pour son dernier opus, il n’a pas trouvé d’éditeur.

L’un des jurés du prix Renaudot, Patrick Besson explique dans Le Point du 6 septembre 2018 : « Cela fait des décennies que des livres sont auto-publiés ou publiés à compte d’auteur. Prenez Proust. Du côté de chez Swann a été publié chez Grasset en 1913 à compte d’auteur. Quel agriculteur donnerait son champ à labourer contre un pourcentage de 10 % ? C’est normal que certains auteurs ne soient pas satisfaits des conditions économiques et se rebellent contre les éditeurs. Moi ce qui m’intéresse, c’est le texte, je me fiche du reste. »

Déjà en 2010, Marc-Edourad Nabe…

C’est la deuxième fois qu’un livre auto-édité figure dans la présélection du Prix Renaudot : Marc-Edouard Nabe avait précédé Marco Koskas, en 2010, avec L’homme qui arrêta d’écrire. Dans la foulée d’un mouvement né aux Etats-Unis, l’auto-édition connaît un bond spectaculaire dans l’Hexagone : l’an dernier elle représentait 17 % du dépôt légal des titres imprimés selon la Bibliothèque nationale contre 10 % en 2010. En général, les auteurs qui optent pour ce moyen ont essuyé un refus de leur manuscrit chez les éditeurs traditionnels.

L’auteur ne touche aucun à-valoir mais il est bien mieux rémunéré sur les ventes : jusqu’à 70 % du prix de vente chez Amazon contre 8 à 12 % lorsqu’il est pris en main par un éditeur classique. L’écrivain qui télécharge son texte sur une plate-forme (comme KDP chez Amazon, Librinova ou Books on Demand) reste propriétaire des droits. Il doit toutefois tout financer lui-même (maquette, promotion, impression, distribution…). Le lecteur de son côté peut acquérir l’ouvrage en format e-book (à un prix souvent modique) ou parfois aussi en format papier – le livre étant alors imprimé à la demande.

Désormais, les éditeurs traditionnels doivent compter sur cette nouvelle concurrence. Ils scrutent donc les nouveaux talents qui émergent par ce biais, pour leur proposer, une fois qu’ils se sont fait un nom sur Internet, d’intégrer leur écurie.