Le pilote suisse Bertrand Piccard, à Paris, en juin 2017. / JOEL SAGET / AFP

Apeine a-t-il fini son discours qu’une nuée de fans se pressent à sa ­rencontre. Bertrand Piccard est à son aise. « Il faut que j’aille chez vous en Suisse pour qu’on réussisse à se parler ? », lui lance Eric Léandri, le patron de Qwant.

Ce mardi 28 août, à l’université d’été du Medef, le psychiatre et aventurier helvète, mondialement célèbre grâce à son tour du monde dans son avion solaire Solar Impulse, était en terrain conquis. Un peu plus tôt, il ­déroulait son exposé sur scène façon gourou, avec son allure athlétique, sa chemise cintrée à col mao et son micro serre-tête. Le credo du jeune sexagénaire à l’accent chantant : il est possible de concilier profit et écologie. C’est même la seule manière, ­selon lui, de faire avancer la cause du développement durable. Un message « patron compatible » : pour parler à l’adversaire, il est nécessaire d’adopter son langage, assure-t-il.

Sa nouvelle fondation, qui emploie 40 personnes à Lausanne, se fixe un objectif : labelliser 1 000 innovations écologiques et rentables. Une fois ce travail achevé, Bertrand Piccard fera un tour du monde pour les présenter aux gouvernements et aux entreprises.

Malgré l’état préoccupant de notre planète, les enjeux écologiques sont loin d’être au cœur de la stratégie des entreprises. Est-il possible de les concilier ?

Il existe un grand malentendu entre les industriels d’un côté, qui mettent en avant l’emploi et la croissance qu’ils créent, et les écologistes de l’autre, qui insistent sur l’urgence de la crise planétaire. Mon message, c’est de montrer que les deux ont raison. Il existe des solutions environnementales rentables, d’autres non. Il existe des solutions industrielles polluantes, et d’autres qui le sont beaucoup moins. Tout l’enjeu est d’agir à l’intersection de deux domaines, grâce à de nouvelles technologies propres qui existent déjà, qui sont rentables, créent des emplois et de la croissance. Et pourtant, ce sont les vieilles méthodes polluantes que l’on continue d’employer.

« Mon message, c’est de montrer que les deux ont raison, les industriels comme les écologistes. »

A quelles technologies ­écologiques pensez-vous ?

Les énergies renouvelables, les transports électriques, les pompes à chaleur, les technologies pour maîtriser la consommation des bâtiments ou des véhicules, éclairer les villes à la demande, les matériaux plus durables et ­requérant moins d’énergie… Une entreprise a inventé un système de climatisation qui utilise la fraîcheur du fond des océans pour ­refroidir des bâtiments. J’ai visité un grand hôtel qui l’utilise : ils ont économisé 85 000 euros par mois en électricité. Autre exemple : Cgon, une start-up anglaise, a conçu un boîtier à connecter à son moteur qui diminue de 80 % les émissions de particules fines et fait baisser la consommation de carburant grâce à un système d’électrolyse.

Si ces solutions sont si ­rentables, comment expliquez-vous qu’elles ne soient pas la norme ?

D’abord, à cause du manque de communication : on ne les connaît pas. Ensuite, par la difficulté à faire changer les mentalités. Un chef d’entreprise a souvent peur de la disruption. Il faut réussir à lui montrer que c’est un avantage pour lui de le faire, mais la force d’inertie est terrible. Enfin, par la réglementation. Il est urgent de créer des lois modernes poussant à l’utilisation de ces technologies propres.

Il est urgent de créer des lois modernes poussant à l’utilisation de ces technologies propres.

Il y a des tas d’innovations qui se trouvent sans débouchés car nos réglementations sont archaïques. Ces règles ne doivent doit pas être considérées comme des freins pour les entreprises, mais comme une opportunité pour faire autrement. Prenez la taxe carbone. La Suède est l’un des pays qui ont les taxes les plus élevées. Cette ­contrainte a poussé les industriels à revoir leurs modes de production, et cela n’a pas affecté leur compétitivité sur le marché mondial, au contraire.

Cela fait beaucoup d’obstacles…

Le changement vient d’individus qui ont le courage d’essayer quelque chose de nouveau. Solar Impulse, c’était ça. Aucun constructeur d’avion n’y croyait. C’est un fabricant de bateaux qui a créé notre modèle. Aujourd’hui, tous les constructeurs aéronautiques réfléchissent à l’aviation électrique. La Norvège veut des vols intérieurs 100 % électriques d’ici à 2040. Tous ceux qui se sont moqués de moi il y a quinze ans travaillent dessus.

En fait, je crois que ceux qui vont résister à tous ces changements vont disparaître. D’ici cinq ans, les Chinois vont amener en Europe des véhicules électriques à 15 000 euros. Ceux qui ne se seront pas adaptés seront en difficulté. Nos moteurs à combustion, nos ampoules à incandescence et nos énergies fossiles ont pris leur essor en 1880, ce sont des systèmes ­archaïques. Nous avons les technologies qui permettent de diviser par deux les émissions de carbone. Le tout est qu’elles se diffusent.

« Nous avons les technologies qui permettent de diviser par deux les émissions de carbone. Le tout est qu’elles se diffusent. »

Comment va se dérouler la labellisation des 1 000 innovations écologiques par votre fondation ?

Notre équipe d’évaluateurs va analyser ces innovations et labelliser celles qui répondent à nos grilles, dans les domaines de l’eau, l’énergie, les villes, l’agriculture et les process industriels. Un de nos critères, c’est qu’il faut qu’elles soient rentables en moins de quatre ans. L’année prochaine, je ferai un tour du monde pour les présenter aux gouvernements et aux industriels. Mon but, c’est de tirer ces solutions méconnues vers le marché. Je n’ai aucun intérêt personnel à le faire. Je veux juste profiter de ma notoriété pour montrer que les technologies propres peuvent faire des choses que l’on croit impossible.

Dans son essai sur la « face ­cachée de la transition énergétique », Guillaume Pitron ­montre qu’elle implique de piller toujours plus de ressources minières, notamment pour fabriquer les batteries. Qu’en pensez-vous ?

Ce livre met en évidence la ­nécessité d’encadrer l’exploitation minière. On ne peut pas faire n’importe quoi. Mais cela ne doit pas invalider la nécessité de poursuivre la transition énergétique. La pollution créée par ces mines est localisée, et doit être surveillée. J’aime mieux quelques mines de cobalt de plus que quelques degrés de plus dans l’atmosphère.

L’aéronaute suisse Bertrand Piccard, photographié en août 2016 sur les toits de l'EPFL, à Lausanne, où se trouvent les bureaux de Solar Impulse. / David Wagnieres

L’innovation sera l’une des grandes thématiques abordées lors du Festival de l’innovation Novaq.

Les 13 et 14 septembre, la région Nouvelle-Aquitaine, en partenariat avec Le Monde, organise deux jours de débats, conférences, pitchs et ateliers au Hangar 14, à Bordeaux.

Scientifiques, experts, entrepreneurs échangeront autour de trois grands thèmes : le cerveau, l’espace et l’océan. Fil rouge de cette édition : l’innovation au service de l’humain.

Programme et inscriptions ici