Alain Juppé (au centre) a rassemblé à Bordeaux les representants de la droite sociale. Ici, notamment à ses cotés, Jean-Pierre Raffarin (à droite) et Maël de Calan. / Rodolphe ESCHER pour Le Monde

Le temps des vendanges n’est pas arrivé. Après un jour et demi de débats dans le huis clos d’un hôtel de la cité mondiale de Bordeaux, samedi 8 et dimanche 9 septembre, Alain Juppé et ses amis sont partis comme ils étaient arrivés : en ordre dispersé, et faisant le constat que la situation politique n’est à leurs yeux pas assez mûre pour décider de l’attitude à adopter en vue des élections européennes de mai 2019.

« Ce n’est pas l’événement fondateur d’un nouveau parti, ni la commission d’investiture pour une liste aux européennes », a déclaré le maire de Bordeaux, dimanche, à l’occasion d’une conférence de presse clôturant la deuxième édition des « Vendanges de Bordeaux », cette « rencontre entre amis » — selon son expression — qui vise à entretenir la flamme du juppéisme. Le rendez-vous sera d’ailleurs reconduit en 2019.

L’ancien premier ministre a préféré se concentrer sur les détails de la « plate-forme fondamentale » rédigée avec la petite trentaine de participants qui l’entouraient. Parmi eux, l’ancien premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, ou encore le conseiller politique du premier ministre Edouard Philippe, Gilles Boyer.

« C’est à la lumière de cette plate-forme que je me déterminerai pour les élections européennes », a prévenu M. Juppé, qui s’est dit « déterminé à [se] battre contre ceux qui veulent démolir l’Europe ». Dressant au passage la liste des politiques communautaires qu’il considère comme prioritaires : « migrations », « défense et sécurité de l’Europe », « convergence fiscale et sociale », « leadership sur le développement durable »...

Les considérations tactiques ont occupé dès lors une grande part des discussions lors de ce week-end bordelais, laissant libre cours aux divisions qui animent une Juppéie éclatée de toutes parts. « Nous nous jaugeons les uns les autres, on est dans le rapport de force », convenait, samedi, un protagoniste des Vendanges.

Trois options à étudier

Trois scénarios restent posés sur la table. Le premier consisterait à soutenir la liste de la République en marche (LRM) — option défendue par le néo-macroniste Gilles Boyer, ancien directeur de campagne de M. Juppé pendant la primaire de la droite, en 2016. « Il y a des moments où il faut se compter et des moments où il faut réfléchir avant de le faire », avance-t-il, préférant « multiplier les chances » de voir la « grande » liste pro-européenne du parti présidentiel « arriver en tête ».

Une liste sur laquelle M. Boyer se verrait bien figurer en position éligible. Mais ce pas vers le macronisme n’est pas encore l’option privilégiée par M. Juppé qui attend des éclaircissements sur le programme de l’exécutif. « Il a annoncé la couleur, M. Macron ? », a fait mine de s’interroger le maire de Bordeaux pour justifier son refus de se prononcer — pour l’heure — sur un éventuel soutien.

Seconde hypothèse : pratiquer un lobbying intense au sein du parti Les Républicains (LR) pour tenter de modérer les accents eurosceptiques de son président, Laurent Wauquiez. C’est la stratégie retenue notamment par Valérie Pécresse et son bras droit au sein du mouvement Libres !, Maël de Calan. « Face à Emmanuel Macron, qui incarne une gauche pro-européenne, il doit y avoir une droite pro-européenne qui s’affirme », défend Mme Pécresse, qui a répété, samedi : « Je suis LR, je le reste, je le demeure ».

Dernier scénario possible, enfin : celui qui verrait la « deuxième droite », comme l’appellent certains juppéistes, constituer une liste indépendante. « Si j’avais 40 ans, je ferais cette liste », a par exemple lancé Jean-Pierre Raffarin à ses congénères dans le huis clos de la cité mondiale. « Il y a un espace politique important qui est en train de se créer entre Emmanuel Macron et Laurent Wauquiez, qui à mon avis sera comblé », a ensuite assuré devant la presse l’ancien premier ministre, qui s’est toutefois gardé de trancher entre les différents scénarios à disposition.

Juppé veut se concentrer sur Bordeaux

Le parti Agir et ses dirigeants — Franck Riester, Fabienne Keller, Pierre-Yves Bournazel — pourrait représenter la vitrine de cette liste indépendante. M. Juppé participera au congrès fondateur de cette formation, le 16 septembre. Mais comme le reconnaît un participant, cette hypothèse va grandement dépendre de la courbe de popularité du président de la République dans les semaines à venir.

« On ne va pas aux élections pour les perdre », convient cette source. « Pour les supplétifs du macronisme, ce n’est plus le temps des vendanges, c’est déjà celui de la vidange : ils ne servent à rien et n’iront nulle part », cingle Guillaume Larrivé, député LR de l’Yonne et soutien de M. Wauquiez.

Le président de LR et Alain Juppé ne risquent en tout cas pas de voir leurs positions se rapprocher. Le premier assume ainsi de parler « aussi bien à [la chancelière allemande] Angela Merkel qu’à Viktor Orban », le premier ministre hongrois, un eurosceptique chantre de l’« illibéralisme » et de la lutte contre l’immigration. Le second a quant à lui fustigé M. Orban, « un leader politique qui défend des thèses à l’encontre de tout ce que je défends ». Déclaration qu’Emmanuel Macron pourrait très bien signer des deux mains.

A 73 ans, M. Juppé ne compte néanmoins pas s’investir outre mesure sur la scène politique nationale. Il a de plus en plus de mal, en revanche, à cacher son envie de se représenter aux élections municipales à Bordeaux, en 2020. « Je n’ai plus d’ambition électorale... Nationale, bien sûr. Ou européenne ! », a-t-il souri lors de sa conférence de presse. Voilà au moins une chose de claire.