De toute évidence, la préfecture des Alpes-Maritimes n’avait pas envie de le voir disparaître de ses radars. Quitte à oser quelques contorsions légales. Chakhbulat S. est un Tchétchène de nationalité russe dont le casier judiciaire va s’épaississant depuis près de dix ans qu’il réside en France. L’homme de 44 ans présente des condamnations pour port d’arme blanche prohibé et vol aggravé, violences sur sa conjointe et son enfant, ou encore apologie publique du terrorisme. En 2016, il est encore condamné pour violence aggravée à trois ans de prison ferme et également interdit de séjour dans les Alpes-Maritimes. En raison de son comportement, son statut de réfugié politique — octroyé en 2011 — lui est retiré.

Cet été, alors qu’il finit de purger sa peine à la maison d’arrêt de Nice, Chakhbulat S. fait l’objet d’un arrêté d’expulsion pris par la préfecture des Alpes-Maritimes. La commission d’expulsion départementale ne retient toutefois pas contre lui les faits d’apologie du terrorisme, jugés trop peu étayés, car, note la commission, il est reproché à Chakhbulat S. d’avoir, dans un état alcoolisé, « vociféré en langue arabe » — alors qu’il est tchétchène — et d’avoir crié « Allahou Akbar » au cours d’une manifestation contre l’islamophobie en 2015.

Le 1er septembre 2018, date de sa remise en liberté, Chakhbulat S. est immédiatement placé en rétention administrative en vue de son renvoi en Russie, où il dit craindre pour sa vie. Toutefois, par voie de recours, la cour d’appel d’Aix-en-Provence ordonne sa remise en liberté trois jours plus tard, au motif que « la préfecture ne démontre aucune démarche pour permettre l’éloignement de l’intéressé ». Les autorités russes, sollicitées un mois auparavant, n’ont en effet jamais répondu à la demande de réadmission de Chakhbulat S. Sa libération lui est donc officiellement notifiée à 15 h 10.

« Je suis sous le choc »

La suite, c’est Nadia Hammami, juriste à l’association Forum Réfugiés, qui intervient au centre de rétention administrative (CRA) de Nice, qui la détaille : « D’habitude, les personnes sont libérées de suite mais là, il y a eu clairement des instructions de la part de la préfecture pour le maintenir en rétention. » L’avocat de Chakhbulat S., Johannes Lestrade, s’inquiète ce jour-là de ne pas voir son client libéré et alerte la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui, elle-même, signale la situation au parquet général.

« Il est très exceptionnel que le parquet soit informé de ce genre de situation », note le procureur de la République de Nice, Jean-Michel Prêtre. « Je suis sous le choc, je n’ai jamais vu cela », réagit à son tour Me Lestrade, qui envisage de déposer plainte pour détention arbitraire. Sollicitée, la préfecture a dit au Monde avoir eu besoin d’un « délai » pour résoudre une situation contradictoire « entre d’une part l’ordonnance libérant M. Chakhbulat S. et d’autre part la mesure judiciaire d’interdiction du territoire des Alpes-Maritimes », dont il fait l’objet depuis 2016. C’est finalement trois heures et demie plus tard, à 18 h 40, que Chakhbulat S. est laissé libre.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car il est aussitôt interpellé par une équipe de police qui patrouille aux abords du centre de rétention administrative. Celle-ci explique avoir agi sur instruction de la police aux frontières et de la préfecture. Les fonctionnaires auraient reconnu Chakhbulat S. et, ayant connaissance de son interdiction de séjour dans le département, ils auraient décidé de le contrôler. A l’issue de ce contrôle, Chakhbulat S. est de nouveau placé en rétention au CRA de Nice en vue de son expulsion.

Jusqu’à ce que, samedi 8 septembre, la cour d’appel d’Aix-en-Provence ordonne à nouveau sa remise en liberté. La justice a en effet considéré que la présence de Chakhbulat S. dans le département, conséquence de son placement en rétention dans le CRA de Nice, « ne lui était pas imputable ». Son contrôle d’identité « n’a pas respecté les dispositions légales » souligne la cour. Qui ajoute que la préfecture ne justifie toujours d’aucune diligence auprès de la Russie en vue d’obtenir un laissez-passer. Chakhbulat S. est donc libéré, et, toujours visé par une obligation de quitter le territoire, il est aujourd’hui assigné à résidence dans les Landes.