Le premier ministre hongrois, Viktor Orban, à Milan (Italie), le 28 août. / MASSIMO PINCA / REUTERS

Un vote décisif du Parlement européen aura lieu mercredi 12 septembre à Strasbourg sur le déclenchement d’une procédure concernant le respect de l’Etat de droit en Hongrie. Il s’agit de l’article 7 des traités de l’Union, qui peut être activé en cas de « risque clair de violation grave » de l’Etat de droit dans un Etat membre. Cette procédure n’a, jusqu’à présent, été initiée qu’une fois : à la fin 2017, contre le gouvernement polonais.

Mardi 11, Viktor Orban, premier ministre hongrois et chantre de l’« illibéralisme », fera le déplacement à Strasbourg pour défendre en séance plénière l’action de son gouvernement. Et dissuader les eurodéputés de voter pour cette procédure, jugée radicale et stigmatisante, même si elle n’a jusqu’à présent pas prouvé son efficacité : Varsovie n’a à ce jour toujours pas amendé significativement les lois réformant sa justice, dans le viseur de Bruxelles.

L’initiative du vote revient à l’ensemble des élus de Strasbourg, qui, fin 2017, ont commandé un rapport sur l’Etat de droit en Hongrie à la commission des libertés civiles. L’eurodéputée néerlandaise écologiste Judith Sargentini a achevé son projet de rapport au printemps et conclu à la nécessité de déclencher l’article 7. Budapest prend cette affaire très au sérieux même si le porte-parole du gouvernement, Zoltan Kovacs, présent à Bruxelles lundi 10 septembre, a qualifié le travail de Mme Sargentini de « tissu de mensonges ».

L’impact de ce débat pourrait néanmoins être considérable, au moment où débute la campagne pour les élections européennes de mai 2019. Forcera-t-il le Parti populaire européen (PPE), rassemblement des droites de l’Union, à sortir de son ambiguïté à l’égard de M. Orban et à l’exclure une bonne fois pour toutes, lui qui est devenu la coqueluche des extrêmes droites européennes ?

  • A quelle condition l’article 7 peut-il être déclenché ?

L’article 7 des traités de l’Union ne peut être déclenché par le Parlement européen que si deux tiers des suffrages exprimés en plénière au moins votent dans ce sens. La gauche européenne, radicale et sociale démocrate, devrait soutenir le rapport Sargentini. Les libéraux et démocrates aussi. En revanche, le PPE est très divisé, alors que la moitié de ses élus a voté le rapport Sargentini en commission des affaires juridiques, en avril. Pour autant, en ce début de semaine, peu d’élus pariaient sur le fait que ce quota très élevé serait atteint.

Une fois l’article 7 recommandé au Conseil, les Etats membres doivent encore se saisir de la procédure : une majorité des 4/5es des votants est requise. S’ensuivent des consultations avec le gouvernement du pays concerné. En théorie, l’article 7 peut déboucher, si l’Etat membre n’est absolument pas coopératif, sur une suspension de ses droits de vote au Conseil, à savoir une quasi-exclusion du jeu européen. Un scénario très hypothétique dans le cas de la Pologne, a fortiori dans celui de la Hongrie.

  • Que dit le rapport Sargentini ?

Mme Sargentini a énuméré dans son rapport les menaces sur la liberté des médias, la remise en cause de l’indépendance de la justice, les attaques régulières contre les organisations non gouvernementales, le regain d’antisémitisme ainsi que la remise en question de certains droits sociaux.

Elle dénonçait aussi la politique migratoire du régime Orban et son refus d’accepter le principe de solidarité européenne. Le premier ministre n’a eu de cesse, depuis 2015, de refuser les plans de partage des réfugiés entre Etats membres pour soulager l’Italie et la Grèce. Lors d’un premier débat sur le rapport Sargentini au Parlement européen, en avril dernier, le ministre des affaires étrangères hongrois, Peter Szijjarto, avait répliqué : « J’ai une mauvaise nouvelle pour vous : nous ne permettrons pas la mise en œuvre de la politique prônée par Soros. Nous voulons protéger l’histoire et la culture européennes. »

Un discours qui avait suscité le malaise, même au sein du PPE, dont une élue déplorait que la Hongrie « identifie les Européens comme des ennemis ». Le débat avait en tout cas relancé la question du gel ou d’une réduction, des fonds structurels pour Budapest. Et ils sont conséquents : ils représentent 4,4 % de son PIB (et la moitié de ses investissements publics).

  • Que répond le gouvernement hongrois ?

Le rapport n’a, à l’évidence, rien changé à la position officielle de Budapest, ainsi qu’en atteste une lettre adressée à tous les eurodéputés par Judit Varga, ministre chargé des relations avec l’UE. Son pays, confirme-t-elle « rejette vigoureusement » le rapport qui a entraîné, le 25 juin, un vote de la commission des libertés favorable au déclenchement de l’article 7.

M. Varga estime que son pays aurait dû dès le début être associé à la procédure. M. Sargentini, en refusant, aurait privilégié « l’option nucléaire » et créé « un dangereux précédent qui mine la confiance des citoyens dans le Parlement ».

Le gouvernement hongrois a aussi transmis à Bruxelles un document de 109 pages, très argumenté, démontant pièces par pièces toutes les critiques faites depuis le retour au pouvoir de M. Orban à Budapest en 2010. Loi sur les médias, réforme de la justice, de la Constitution, libre activité des ONG, conditions d’exercice des établissements universitaires étrangers, etc.

Autre reproche : l’enquête a porté sur des compétences exclusives des Etats membres, comme l’éducation, les indemnités de chômage ou le montant minimum des retraites. Budapest affirme, par ailleurs, avoir tenu compte des réactions d’une série d’institutions de l’Union, dont la Commission ou la Cour de justice de Luxembourg, pour corriger des dispositions – sur la ségrégation des Roms, la protection des femmes enceintes au travail ou le système judiciaire.

Ces textes en forme de plaidoyers soutiennent que « la Hongrie est fidèle aux valeurs européennes » et ne menace en rien les règles de la démocratie. La ministre répète que son pays est ouvert au dialogue, y compris sur la légalité de certaines décisions, mais « rejette l’idée que des positions différentes soient présentées comme des menaces fondamentales pour la démocratie ».

  • Quelles conséquences pour le PPE et les autres partis politiques européens d’un vote largement en faveur de l’article 7 ?

Côté PPE, le malaise grandit ces derniers jours. Même si la majorité nécessaire des deux tiers des suffrages en plénière parait difficile à atteindre, un vote massif pour le déclenchement de l’article 7 ferait tanguer un parti en pleine crise, écartelé entre un Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, représentant de la droite chrétienne sociale et Sebastian Kurz, chancelier autrichien en coalition avec l’extrême droite ou M. Orban, qui se déplace désormais à Rome pour discuter Europe et migration avec le populiste d’extrême droite Matteo Salvini.

Lundi soir, M. Kurtz a recommandé le vote en faveur de l’article 7, alors qu’au même moment son partenaire de coalition, le FPÖ, invitait M. Orban à rejoindre une coalition des extrêmes européens.

Difficile pour les dirigeants proeuropéens du PPE de ne pas réagir, même si jusqu’à présent ils ont défendu M. Orban, espérant le garder dans la famille et éviter une hémorragie des électeurs de la droite traditionnelle vers l’extrême droite. Le PPE « attend de Viktor Orban qu’il fasse un pas en direction des partenaires européens cette semaine et qu’il soit prêt à des compromis », a ainsi déclaré au Monde Manfred Weber, chef de file du PPE à Strasbourg.

« S’il ne le fait pas, je m’attends à des débats extrêmement difficiles au sein du groupe PPE. Pour nous, il est clair que les valeurs fondamentales de l’Union européenne ne sont pas négociables », ajoute le Bavarois. En lice pour la succession de M. Juncker à la tête de la Commission, M. Weber affronte avec le vote hongrois le premier test important de sa candidature.

Un éclatement du PPE aurait des conséquences considérables à neuf mois des européennes, en créant à la fois un espace politique pour une union des droites extrêmes, de M. Orban à M. Salvini en passant par les Polonais du PiS. Mais aussi une opportunité pour une éventuelle alliance élargie des « proeuropéens » autour de M. Macron.

L’eurodéputé grec Dimitris Papadimoulis, membre de Syriza, le parti d’Alexis Tsipras, vient ainsi de déclarer au site d’information Euractiv.com : « En termes de démocratie, les alliances doivent être plus larges, non seulement avec M. Macron, mais avec les libéraux [du parti paneuropéen ALDE] et les modérés du PPE. »