Le grand rassemblement pour le climat, à San Francisco, le 8 septembre. / AMY OSBORNE / AFP

Pas de chefs d’Etat, pas de cadre officiel, mais des milliers d’acteurs de la lutte contre le changement climatique venus d’une centaine de pays. Le sommet mondial pour l’action climatique qui s’ouvre mercredi 12 septembre à San Francisco – premier du genre – se veut la « COP des acteurs non étatiques ». Les participants – villes, régions, coalitions d’entreprises, investisseurs, ONG – entendent être l’aiguillon des Etats, à un moment où le retrait américain de l’accord de Paris a ralenti les ardeurs des cosignataires à remplir les objectifs affichés aux Nations unies.

Ils veulent montrer qu’ils comptent, qu’ils obtiennent des résultats et que la décarbonation de l’économie passe aussi par eux, à l’échelon local. Les acteurs non étatiques « portent le drapeau pendant que les gros pouvoirs, les responsables nationaux, sont somnolents », résume le gouverneur de Californie et hôte du sommet, Jerry Brown.

Objectif 100 % électricité électrique

Le Global Climate Action Summit (GCAS) est coprésidé par Jerry Brown, le responsable chinois de la lutte contre le changement climatique, Xie Zhenhua, l’envoyé spécial de l’ONU pour l’action sur le climat, Michael Bloomberg, le magnat industriel indien Anand Mahindra et la représentante pour la convention-cadre de l’ONU, Patricia Espinosa. Plusieurs ministres de l’environnement sont présents. Pour la France, Nicolas Hulot, démissionnaire, s’est décommandé mais l’ambassadrice des pôles, Ségolène Royal, représente le gouvernement. Anne Hidalgo doit mener la conférence mercredi, en tant que présidente du C40, le groupe lancé en 2005 avec le soutien financier de la fondation philanthropique de M. Bloomberg, et qui réunit maintenant 96 des plus grandes villes du monde.

Dans San Francisco envahie par les sit-in des activistes en position de yoga, pas moins de 350 événements sont prévus en plus de la conférence officielle à laquelle participent 4 500 délégués. Toutes les « stars » de l’écologie sont annoncées, de l’ancien vice-président américain Al Gore à l’ancien secrétaire d’Etat John Kerry, qui a signé l’accord de Paris en décembre 2015 ; de Robert Redford à Alec Baldwin.

Si l’ONU n’est pas maître d’œuvre, elle est omniprésente. Lundi, son secrétaire général, Antonio Guterres, à New York, a solennellement rappelé aux Etats que, s’ils n’agissent pas, « la société civile sera en droit de leur demander des comptes ». « Le monde change sous nos yeux », a-t-il souligné.

L’hyperactif Jerry Brown, gouverneur entré en « résistance » dès le lendemain de l’élection de Donald Trump, et qui depuis multiplie les initiatives sur le plan judiciaire ou législatif pour contrecarrer l’administration républicaine, a donné le ton. Lundi 10 septembre, il a ratifié une loi qui exige que 100 % de l’électricité consommée en Californie provienne de sources « propres » avant 2045 (solaire, éolienne mais aussi nucléaire), contre 32 % actuellement.

Piège de ciment

Seul l’Etat de Hawaï a pris un engagement similaire, mais, pour ce qui est de la Californie, représentant l’équivalent de la 5e économie du monde, l’engagement a été qualifié d’« historique » par les associations, d’autant que cet Etat reste le quatrième des Etats-Unis pour l’exploitation du pétrole et du gaz naturel. Selon le sénateur Kevin de Leon, l’architecte de la loi, les parlementaires ont pris acte de ce que la Californie avait atteint ses objectifs avec quatre ans d’avance et ramené ses émissions sous leur niveau de 1990. Cela tout en maintenant une croissance record. Les énergies renouvelables représentent déjà « dix fois plus d’emplois pour la seule Californie que toutes les mines de charbon des Etats-Unis », a-t-il souligné.

Le gouverneur ne s’en est pas tenu là. Par un décret, qui n’avait pas été annoncé, il a ordonné non seulement de ramener l’ensemble des émissions à zéro d’ici à 2045 mais de retirer, à partir de l’année suivante, plus de gaz à effet de serre de l’atmosphère que l’Etat n’en rejette. Cet objectif a surpris les écologistes mais il est considéré comme incitant à l’innovation. A titre expérimental, le Golden State explore la possibilité d’utiliser les algues pour absorber les gaz ou de les emprisonner dans du ciment.

Le camp anti-Trump espère faire la démonstration que l’autre Amérique est toujours fidèle aux engagements prévus dans l’accord de Paris. Que ce soit au niveau des financiers qui s’engagent pour le climat, comme les 392 qui doivent annoncer à San Francisco la création d’un « Investor Agenda » ; au niveau des entreprises comme le géant de l’assurance santé Kaiser Permanente, qui promet de devenir « neutre en carbone » en 2020 ; ou encore des 3 000 Etats et villes des Etats-Unis réunis dans l’alliance America’s Pledge, un réseau créé le lendemain de l’annonce du retrait de l’accord de Paris, en juin 2017.

L’association a publié mercredi une analyse des efforts des entités sous-étatiques aux Etats-Unis, à mi-chemin du bilan de l’objectif américain fixé dans l’accord de Paris d’atteindre de 26 à 28 % de réduction des émissions par rapport à 2005 avant 2025. L’étude montre que « les engagements actuels du gouvernement et de l’économie réelle, combinés avec les forces du marché, ramèneront les émissions à 17 %, soit deux tiers de l’objectif original ».

« Le travail lourd »

Quelle est la portée des engagements des acteurs non étatiques ? Les organisateurs mettent en avant une série de domaines où les autorités locales sont clés, comme la réglementation des constructions ou le recyclage des déchets – avant même le sommet, 23 villes, dont Paris, Durban, Tokyo et Vancouver, ont décidé de réduire de 15 % le volume des déchets généré par chaque citoyen d’ici à 2030.

Pour l’agence de l’ONU pour l’environnement, qui a publié le 10 septembre une étude quantifiant pour la première fois l’apport des initiatives internationales émanant de 7 000 villes dans 133 pays, et 6 000 entreprises, « les villes, les Etats, la société civile et le secteur privé ont le potentiel pour dépasser des objectifs ». Mais le rapport indique aussi que nombre d’engagements annoncés n’ont pas encore eu d’impact. « Nous avons absolument besoin des gouvernements nationaux pour faire le travail lourd », a indiqué Angel Hsu, climatologue à Yale, l’une des coauteurs de l’étude. Jerry Brown en convient, estimant que « nous sommes encore au camp de base du mont Everest ».