L’avis du « Monde » – à voir

La médecine nourrit un pourcentage suffisamment élevé de la fiction en images – films, séries – pour qu’on s’étonne qu’un cinéaste s’y consacre à plein temps, surtout s’il est médecin. Après l’apprentissage de l’exercice de l’art (Hippocrate, 2014), sa pratique quotidienne (Médecin de campagne, 2016), Thomas Lilti met en scène, dans son troisième long-métrage, ce rite étrange et douloureux par lequel doivent passer les futurs praticiens.

Première année s’ouvre sur le spectacle de centaines de jeunes gens attablés en rangs serrés dans un hangar. Ils sont là pour noircir des cases sur des feuilles de papier. On connaît le curriculum vitae du réalisateur (médecin, il a continué d’exercer tout en faisant ses premiers pas au cinéma), on a vu le titre du film en entrant dans la salle, l’énormité de la situation saute aux yeux : l’identité du praticien qui soignera votre cancer ou votre dépression dépend de la capacité de ces étudiants à faire face à cette épreuve, qui relève plus de l’expérimentation animale que de la formation scientifique et professionnelle.

William Lebghil et Vincent Lacoste font de ce qui est un film à thèse l’épisode d’un roman de formation

Cette contradiction entre le savoir inculqué et restitué mécaniquement et la complexité humaine de ce qui viendra, Thomas Lilti la dissèque avec méthode, un peu de colère et l’appui de deux acteurs qui font de ce qui est un film à thèse l’épisode d’un roman de formation.

A la sortie du lycée, Benjamin (William Lebghil) se laisse convaincre d’entrer en médecine. Garçon décontracté, dont on apprendra bientôt qu’il est fils de chirurgien, il commence son année à bas régime, tranquillement éberlué par la surpopulation des amphis, par la charge de travail, par l’avidité masochiste avec laquelle ses condisciples l’acceptent, les plus enthousiastes étant les redoublants. Antoine (Vincent Lacoste) a obtenu par dérogation le droit de ­tripler, après avoir raté d’un rien le passage en deuxième année de médecine et refusé de choisir dentaire ou pharmacie. Ses parents ne comprennent rien à ses études.

Dissolution de la solidarité

L’opposition entre l’héritier qui vite trouve ses marques et s’élève dans les classements et l’outsider habité par sa vocation pourrait être schématique si William Lebghil et Vincent Lacoste ne nuançaient avec intelligence leurs personnages. Le premier est changeant, proie d’enthousiasmes fugitifs et de doutes persistants, les certitudes du second sont minées par sa vulnérabilité aux préjugés des autres, jusqu’à se briser sur l’obstacle. Vincent Lacoste, qui avait montré sa capacité à souffrir à l’écran en phtisique dans Le Journal d’une femme de chambre, de Benoît Jacquot, est ici victime d’un autre mal et tout aussi convaincant.

L’autre réussite de Première année se trouve dans la peinture de cette société éphémère organisée pour que les uns souhaitent tout le malheur du monde aux autres. A quelques incidents près, cette dissolution de la solidarité ne prend jamais la forme de la méchanceté ou de la cruauté. Ce n’est pas la peine, c’est la vie quotidienne des étudiants qui est méchante et cruelle, comme celle d’une émission de télé-réalité. Il se trouve que l’annonce de la réforme du numerus clausus en fin de première année de médecine apporte un semblant de happy end à ce film.

BANDE ANNONCE : PREMIÈRE ANNÉE
Durée : 02:01

Film français de Thomas Lilti. Avec William Lebghil, Vincent Lacoste (1 h 32). Sur le Web : www.le-pacte.com/france/prochainement/detail/premiere-annee