Le président français, Emmanuel Macron, lors d’une cérémonie au mémorial du Martyr, à Alger, le 6 décembre 2017. / Zohra Bensemra / REUTERS

En reconnaissant la responsabilité de la France dans la mort de Maurice Audin et le recours à la torture pendant la guerre d’Algérie, le président Emmanuel Macron fait un pas décisif dans un travail de mémoire lent et délicat entre les deux pays.

  • Les massacres de Sétif, Guelma et Kheratta

Les massacres perpétrés à partir du 8 mai 1945 dans l’Est algérien sont considérés comme le véritable premier acte de la guerre d’Algérie. Ce jour-là, alors que la France fête la victoire contre le nazisme, l’histoire tourne au drame à Sétif, mais aussi à Guelma et à Kheratta, où des manifestations sont réprimées dans le sang. En quelques semaines, des milliers d’Algériens – entre 10 000 et 45 000, selon les sources – seront tués, ainsi qu’une centaine d’Européens.

En 2005, une première reconnaissance est formulée par l’ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de Verdière, qui évoque une « tragédie inexcusable ». En 2008, l’ambassadeur Bernard Bajolet pointe à son tour la « très lourde responsabilité des autorités françaises de l’époque dans ce déchaînement de folie meurtrière », ajoutant que « le temps de la dénégation est terminé ». En avril 2015, le secrétaire d’Etat aux anciens combattants et à la mémoire, Jean-Marc Todeschini, se déplace à Sétif pour, soixante-dix ans après, commémorer les faits. Une première pour un responsable français.

  • La responsabilité française dans la guerre et la colonisation

Le déplacement de M. Todeschini à Sétif entre dans le cadre de la politique mémorielle annoncée par François Hollande. Devant le Parlement algérien, en décembre 2012, le chef de l’Etat français avait dénoncé la colonisation, « un système profondément injuste et brutal », et reconnu « les souffrances […] infligées au peuple algérien », dont les massacres de Sétif, Guelma et Kheratta. « Le jour même où le monde triomphait de la barbarie, la France manquait à ses valeurs universelles », poursuivait le président. Un discours qui a fait date.

Son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, avait déjà dénoncé le système colonial lors d’un discours le 3 décembre 2007 : « Oui, le système colonial a été profondément injuste, contraire aux trois mots fondateurs de notre République : liberté, égalité, fraternité », avait déclaré le président à Alger. Mais la portée de ses déclarations s’était rapidement atténuée : sitôt rentré d’Algérie, Nicolas Sarkozy avait reçu à l’Elysée les représentants des harkis, provoquant la colère d’Alger.

Lors d’un discours le 3 mars 2003, Jacques Chirac avait, lui, limité la reconnaissance des souffrances subies par le peuple algérien à la période de la guerre.

Quant à Emmanuel Macron, il a marqué les esprits en Algérie avant même son élection. Lors d’un déplacement à Alger en février 2017, celui qui n’était alors que candidat à l’élection présidentielle avait déclaré vouloir réconcilier des « mémoires concurrentes ». La colonisation fut « un crime, un crime contre l’humanité, une vraie barbarie », avait-il déclaré en réponse à une question, poursuivant : « Ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et de ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes. » Ses propos avaient provoqué des réactions scandalisées de responsables politiques de droite et d’extrême droite. «Emmanuel Macron commet une faute politique», avait estimé Bruno Retailleau, sénateur LR proche de François Fillon.

Lors de son premier déplacement à Alger en tant que chef de l’Etat, Emmanuel Macron avait martelé son intention de « tourner la page du passé » pour « construire une nouvelle relation avec l’Algérie et notamment avec la jeunesse ».

  • L’assassinat des moines de Tibéhirine

Vingt-deux ans après le drame, l’affaire continue d’empoisonner régulièrement les relations franco-algériennes. Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, en pleine guerre civile, sept religieux français sont enlevés dans leur monastère à 80 km au sud d’Alger. Leur mort est annoncée quelques semaines plus tard par le Groupe islamique armé (GIA). Mais les circonstances de leur décès sont rapidement controversées. Des accusations émergent sur une possible implication des militaires algériens dans l’assassinat des religieux français.

En 2014, après des années de bataille judiciaire, des prélèvements sur les crânes des religieux sont finalement autorisés par les autorités algériennes. Une première dans cette affaire, alors qu’aucune autopsie n’avait été effectuée depuis 1996. Après deux années de discussions, les prélèvements sont rapportés en France en juin 2016. Le 29 mars 2018, des expertises scientifiques révèlent que les moines auraient été tués avant la date officielle de leur mort, le 21 mai 1996, et décapités post mortem, faisant peser des doutes sur la version officielle de leur assassinat.

Le 10 avril, l’Algérie donne au Vatican son accord pour la béatification des moines de Tibéhirine, qui pourrait se dérouler à Oran dans les prochains mois, selon le ministre algérien des affaires étrangères.

  • L’indemnisation des victimes algériennes

Les victimes algériennes de la guerre d’indépendance ont longtemps attendu ce moment. Plus de cinquante-cinq ans après la fin de la guerre d’Algérie, le Conseil constitutionnel a censuré, le 8 février 2018, la loi de 1963 prévoyant un « droit à pension » qui excluait les non-Français. Potentiellement, ce seraient plusieurs dizaines de milliers de victimes algériennes (15 000, selon une note obtenue par le Conseil constitutionnel) ou leurs ayants droit qui pourraient revendiquer une indemnisation.

La pension, souvent symbolique selon le niveau d’invalidité de la victime, est néanmoins une reconnaissance du statut de victime. Même si l’interprétation des exclusions prévues par la loi ne sera pas aisée et soulève encore beaucoup de questions. L’indemnisation financière ne fait pas partie des revendications des autorités algériennes, qui demandent à la France une « réparation morale » par des excuses portant sur toute la période de la colonisation.

  • La restitution des crânes de résistants algériens

Ce fut l’un des gestes annoncés par Emmanuel Macron lors de sa visite officielle à Alger le 6 décembre 2017. Le président français s’était dit « prêt » à ce que la France restitue des crânes d’insurgés algériens tués par le corps expéditionnaire français dans les années 1840 et 1850, conservés au Musée de l’homme, à Paris, et longtemps revendiqués par les historiens algériens. Une « loi de déclassification » devrait être adoptée par le Parlement français afin d’autoriser la restitution, du fait du principe d’inaliénabilité des collections publiques.

  • Le travail de mémoire et l’accès aux archives

La question de la mémoire des années de colonisation française en Algérie (1830-1962) pèse fortement sur les relations entre Paris et Alger : l’accès aux archives françaises est une revendication très forte côté algérien. Sur ce point, les discussions se sont multipliées ces dernières années. Notamment en janvier 2016, lors de la visite officielle en France du ministre algérien des moudjahidine (anciens combattants), une première depuis l’indépendance. Mais aussi en décembre 2017 : le premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, avait annoncé qu’Emmanuel Macron était prêt à remettre à l’Algérie une copie des archives de la période coloniale française.

Jeudi 13 septembre, parallèlement à la reconnaissance de la torture et de l’assassinat de Maurice Audin, le chef de l’Etat a annoncé vouloir ouvrir l’ensemble des archives de l’Etat relatives aux disparus d’Algérie. On estime que plusieurs milliers de personnes, issues des deux camps, ont disparu, dont 500 soldats français. « Une dérogation générale, par arrêté ministériel, va être accordée pour que tout le monde – historiens, familles, associations – puisse consulter les archives pour tous les disparus d’Algérie. On place la question des disparus au centre », a expliqué au Monde l’entourage de M. Macron. Le président lance aussi un appel à tous les témoins de l’époque ou à leurs descendants pour qu’ils participent à ce « travail de mémoire » en confiant leurs témoignages ou leurs documents personnels aux archives nationales.