Le titre « La vérité en… Marche ! » sous un dessin pleine page du jeune Maurice Audin en « une ». Le quotidien francophone El Watan, l’un des rares à sortir en Algérie le vendredi, rompt dans son édition du 14 septembre avec la prudence générale des médias électroniques au sujet de la reconnaissance, la veille, par le président Emmanuel Macron, de la responsabilité de l’Etat français dans la mort du militant communiste Maurice Audin.

Le Huffpost Algérie avait ainsi évoqué la veille un « petit geste », alors que le site Tout sur l’Algérie (TSA) se demandait « jusqu’où ira Macron ? », en rappelant les précédentes prises de position du président français sur les questions mémorielles. « Maurice Audin…. Enfin, la France reconnaît le crime », titre de son côté le quotidien arabophone El Khabar. Sa correspondante à Paris souligne le caractère « historique » de cette reconnaissance du « crime de torture », expliquant que le geste est dans la continuité des « déclarations courageuses » et sans « précédents » sous la Ve République d’Emmanuel Macron, lors de sa visite à Alger en février 2017. Celui qui n’était encore que candidat à la présidentielle avait déclaré que la colonisation fut « un crime, un crime contre l’humanité, une vraie barbarie ».

« Reconnaissance officielle »

Les réactions officielles se sont également faites discrètes. Seul le ministre des Moudjahidine (anciens combattants), Tayeb Zitouni, a réagi publiquement, qualifiant le geste du président français « d’avancée », de « pas positif louable ». « Les crimes perpétrés par les autorités françaises contre les Algériens durant l’ère coloniale ne peuvent être niés que par un oublieux et un ignorant de l’Histoire », a-t-il ajouté.

Même si la prudence reste de mise, comme il est de règle au sujet des questions mémorielles entre la France et l’Algérie, de nombreux observateurs admettent que le président Emmanuel Macron va bien plus loin que ses prédécesseurs. Il ne se contente pas de reconnaître la responsabilité de l’Etat français dans l’assassinat de Maurice Audin, mais pointe un « système » qui a favorisé les « disparitions et permis la torture à des fins politiques ».

Le site TSA relève par exemple que le sort de dirigeants de l’insurrection algérienne morts sous la torture, comme Larbi Ben M’hidi ou l’avocat Ali Boumendjel, n’a pas fait l’objet d’une reconnaissance. Mais, ajoute-t-il, son initiative ne se limite pas à un geste en direction de la famille de Maurice Audin. « Reconnaître qu’un système de torture avait été mis en place équivaut à une reconnaissance officielle de la responsabilité de l’Etat français dans le sort de tous les militants nationalistes morts sous l’horrible pratique, et ceux et celles qui lui ont survécu, comme Louisette Ighilahriz, Djamila Bouhired, Henri Alleg… C’est un précédent et surtout une autre étape de franchie », écrit le site.

« Des milliers de disparitions »

Même constat de la part d’El Watan qui souligne que le président a « avoué » que le cas de Maurice Audin n’est pas « un acte isolé » et qu’il y a eu des « milliers de disparitions » pendant le conflit. Abed Charef, chroniqueur politique, n’hésite pas à faire l’éloge du président français : « Macron est un homme intéressant. Beaucoup plus intéressant et complexe que la caricature de président des riches à laquelle beaucoup veulent le réduire », écrit-il sur sa page Facebook.

Un bémol est venu du site Algérie patriotique, propriété du fils de l’ancien ministre de la défense, le général Khaled Nezzar, et habitué des polémiques, qui met en exergue l’insistance du président français sur le fait que « les actes de certains individus ne sauraient peser sur la conscience de tous ceux qui n’en ont pas commis et n’y ont pas souscrit ». Selon lui, Emmanuel Macron dénonce des faits « isolés » et, « quelque part, innocente la France coloniale qui ne serait pas responsable des crimes contre l’humanité qu’il avait lui-même dénoncés lors de sa visite en Algérie [en février 2017] ».