L’église de Quilen « menace ruine », comme on dit pudiquement. Le passage des tempêtes a laissé des cicatrices sur la toiture, qui ne demande qu’à perdre quelques ardoises supplémentaires. / PIERRE BOUVIER / « LE MONDE »

Ils sont réunis dans la salle du conseil municipal : Eliane Zwertvaegher, son mari, qui se fait discret, Patrick Fouilland, un médecin parisien à la retraite, et, enfin, Pascal Caron. Lui, c’est le maire de Quilen, petit village du Pas-de-Calais, dans les Hauts de France. Plus tard, Olivier Van Den Bossche, le premier adjoint, passera dire bonjour. Ils sont en tout une vingtaine d’habitants, sur les 70 âmes que compte le village, à s’être mobilisés pour sauver leur église, Saint-Pierre. Face aux millions d’euros du Loto du patrimoine, dont le tirage a lieu vendredi 14 septembre, cette poignée d’irréductibles défenseurs du patrimoine communal semble quelque peu démunie.

Pour trouver leur église, il faut quitter la route qui mène à Montreuil et, plus loin, au Touquet avant de plonger dans une petite vallée. La rue principale qui traverse Quilen, village sans entreprise ni artisan, se parcourt en quelques dizaines de secondes. L’église Saint-Pierre n’est ni la plus belle ni la plus connue du département, qui compte quelques dizaines d’édifices remarquables recensés par l’office du tourisme. C’est un petit bâtiment de briques rouges, coiffé d’un toit d’ardoise et d’un clocher passablement amoché.

De l’église originelle édifiée au XVe siècle, couverte d’un toit en chaume, il ne reste rien, à part une cloche en bronze qui porte la date de 1443. L’église actuelle a été reconstruite en 1847, après un incendie. A l’intérieur, les fonts baptismaux datent du XVIIe ou du XVIIIe siècle, personne ne sait vraiment, mais ils sont inscrits au titre des monuments historiques depuis 1973.

L’une des originalités de l’édifice se situe à droite en entrant : le monument aux morts de la Grande Guerre se trouve à l’intérieur de l’église. Une plaque de marbre qui porte les noms de Paul Sta, Alfred Maillard, Albert Maillard, Alphonse Ladelnet, Emile Pade, Fernand Henry, Sulpice Thomas, François Mailly, Georges Henry ; les soldats originaires du village tués entre 1914 et 1918.

Réparations de fortune

L’église « menace ruine », comme on dit pudiquement. Le passage des tempêtes a laissé des cicatrices sur la toiture, qui ne demande qu’à perdre quelques ardoises supplémentaires. A l’intérieur, les fissures causées par les infiltrations ressemblent à des crevasses. Pour monter dans le clocher, il est conseillé de se changer, tant on y ramasse les fientes de pigeon. « On y célèbre pourtant des offices les 22 de chaque mois, et en septembre une messe avec la participation des jeunes ayant fait leur profession de foi suivie de baptême y sera donnée », ajoute Eliane Zwertvaegher.

Mais jusqu’à présent, ce sont les réparations de fortune qui permettent à l’édifice de ne pas se dégrader davantage. Les habitants de Quilen n’ont pas l’entregent des grandes institutions comme le Louvre, capable de mobiliser mécènes et particuliers grâce à l’opération « Tous mécènes ». Leur église ne fait pas non plus partie des monuments retenus pour bénéficier des retombées du Loto du patrimoine porté par l’animateur Stéphane Bern. Elle n’est bien sûr pas au programme des Journées du patrimoine dans le Nord et le Pas-de-Calais. Enfin, il est tout aussi inutile de se tourner vers le diocèse, qui considère que l’église appartient à la commune.

Face à ces obstacles, les villageois ont décidé d’explorer d’autres voies. « L’impulsion du maire, qui s’est épuisé à chercher une solution pour l’église, est essentielle », lance Patrick Fouilland, le médecin à la retraite. « Lors d’une réunion municipale, j’ai dressé l’état des lieux », confirme le maire, Pascal Caron. « Certains ont dit qu’il fallait s’intéresser au financement participatif, et c’est parti de là », poursuit-il. Tout le monde s’est accordé sur le fait qu’il était impossible de continuer à vivre à côté d’une ruine. « On veut toucher les personnes pour qui le village a pu signifier quelque chose, qu’ils y aient séjourné ou que leurs parents y soient », ajoute le maire : « Comme ailleurs, la base de notre village, c’est l’église. »

Plus de 150 000 euros de travaux

Le village a déjà dépensé 8 000 euros pour des travaux de première urgence, sur le clocher. Un maigre pansement, l’enveloppe nécessaire pour la première tranche des travaux de réfection étant estimée à 78 000 euros. La commune a sollicité l’aide du département, qui a promis 8 235 euros, et de la région, qui lui versera 16 391 euros€ au titre de la dotation d’équipement des territoires ruraux. Il reste donc 54 000 euros à trouver pour boucler cette première phase de travaux. Une deuxième tranche – évaluée à plus de 62 000 euros – concernera la nef et le chœur, et enfin la sacristie, pour près de 13 000 euros. La facture totale pour la réfection du bâtiment s’élève à plus de 150 000 euros, quand le budget annuel de la commune voisine 70 000 euros.

Le village a dépensé 8 000 euros pour des travaux de première urgence, sur le clocher. Un maigre pansement lorsque les travaux pour sa réfection sont évalués à 78 000 euros. / PIERRE BOUVIER / « LE MONDE »

Après avoir vu une série de reportages sur le château de la Mothe-Chandeniers racheté collectivement, à la fin de 2017, grâce à la mobilisation de la plate-forme de crowdfunding spécialisée dans le patrimoine culturel, Dartagnans, Eliane Zwertvaegher a lancé une association, le 27 juin. Une vingtaine d’habitants du village l’ont rejointe depuis. Ils s’appuient sur la start-up Charlemagne, qui veut « dépoussiérer l’approche de la conservation du patrimoine », résume Romain Delaume, le PDG de Dartagnans.

« Nous acceptons tous les projets, mais c’est aux porteurs de projet de communiquer, de fédérer autour d’eux et d’offrir des contreparties aux donateurs, poursuit Romain Delaume. Selon nos études, 70 % des coactionnaires n’avaient jamais fait de don auparavant. » La page consacrée à l’église de Quilen montre que 24 donateurs ont déjà mis à la main au porte-monnaie pour sauver Saint-Pierre de la ruine.

L’association d’Eliane Zwertvaegher a essayé de sensibiliser les villages alentour pour élargir le spectre des donateurs, mais elle a d’abord été accueillie avec une certaine incrédulité. « Le financement participatif n’est pas une pratique courante, ici », constate-t-elle. Les premiers articles consacrés à son initiative dans la presse locale et les premiers montants collectés commencent cependant à susciter l’intérêt dans les environs.

Microdon et déduction fiscale

« Au-delà des particuliers, c’est les entreprises alentour que nous essayons de toucher », reprend le maire. « Il faut leur faire comprendre que si elles veulent bénéficier d’abattements fiscaux, il faut participer à la collecte avant sa date butoir » fixée au 6 octobre. Les dons sont en partie défiscalisable aux termes des articles 200 et 238 bis du code général des impôts. Les particuliers peuvent déduire 66 % du montant de leur don dans la limite de 20 % de leurs revenus imposables ; les entreprises peuvent quant à elles bénéficier d’une réduction d’impôt sur les sociétés de 60 % du montant de leur versement, dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires hors taxe.

En fonction de ce qui aura été collecté par ce financement participatif, la municipalité contractera un emprunt pour financer le reste, estimant pouvoir rembourser 2 500 euros par an, sur vingt ans. « En France, il y a 36 000 communes, rappelle Pascal Caron, elles sont essentiellement rurales. Une commune de 70 habitants n’a pas les moyens ni les mêmes contraintes que la ville voisine de 15 000 habitants ».

Comme à Quilen, des habitants se mobilisent dans toute la France pour sauver leur patrimoine. L’association Adopte un château recense ainsi plus de 600 châteaux en péril. A lire la presse quotidienne régionale, des milliers de monuments et d’églises – l’église de Saint-Pé-Saint-Simon, dans le Lot-et-Garonne, celle de Saint-Lambert de Montigny-sur-Meuse, ou encore celle d’Asnan, dans la Nièvre – attendent toujours leurs généreux donateurs.