Lance Stroll aux commandes de sa Williams, à Spielberg en Autriche le 29 juin. / LEONHARD FOEGER / REUTERS

« Lance Stroll a un père qui est très très riche, mais il mérite sa place en formule 1, il l’a gagnée sur la piste. » Ainsi parlait, le 28 février 2017 à Barcelone, le pilote français Esteban Ocon de son homologue canadien, alors que tous deux s’apprêtaient à courir leur première saison en formule 1, respectivement au sein des écuries Force India et Williams. Un peu plus d’un an et demi plus tard, on ne sait pas si Estaban Ocon est encore convaincu de ce qu’il disait alors et s’il reprendrait à l’identique ses propos. Car le père de Lance Stroll, le milliardaire Lawrence Stroll, a racheté Force India et a décidé d’y imposer son fils – au plus tard la saison prochaine – au détriment du pilote français. Ce dernier, fils de garagiste, n’a, pour l’instant, pas de volant pour 2019.

Esteban Ocon ne s’est pas exprimé publiquement sur son éviction. « Je ne nie pas que le système [de la F1] est imparfait. Mais je mérite plus que d’être juste mentionné pour mes soutiens financiers », a, pour sa part, commenté Lance Stroll le 28 août dans un entretien au Telegraph.

« Pire “rooky” de l’histoire »

Lance Stroll apparaît sur les radars médiatiques à l’automne 2016, comme le nouveau pilote canadien de F1, dix ans après le départ du champion 1997 Jacques Villeneuve. Comme son aîné, il a grandi au Québec ; comme lui, il débute chez Williams ; comme lui, il a un père riche : Jacques Villeneuve est le fils du pilote de F1 Gilles Villeneuve, mort lors du Grand Prix de Belgique 1982.

Lance Stroll est, lui, le fils d’un autre passionné de sport automobile, Lawrence Stroll, collectionneur de Ferrari, qui a fait fortune en investissant dans les marques de vêtements, telles Tommy Hilfiger, Ralph Lauren et Michael Kors – sa fortune est évaluée à 2,7 milliards de dollars par le magazine Forbes.

En dépit de ces points communs, Jacques Villeneuve, consultant F1 pour Canal+, n’a pas épargné son compatriote dès ses débuts en 2017 dans la catégorie reine, le qualifiant de « pire rooky » de l’histoire de la F1. « C’est pathétique ! », avait-il lancé à son propos.

Le pilote, qui a alors 18 ans – il est né 29 octobre 1998 à Montréal – rate effectivement son entrée dans l’élite : sorties de piste lors des essais hivernaux, trois premières courses non terminées… Il doit attendre le 11 juin 2017 et son premier Grand Prix à domicile pour inscrire les deux points de sa 9e place.

Ce résultat le libère. Deux semaines plus tard, à Bakou, il se faufile jusqu’à la 3e place, derrière Daniel Ricciardo (Red Bull) et Valtteri Bottas (Mercedes), décrochant le titre de deuxième plus jeune pilote à monter sur un podium. Dans la foule, la caméra capte les larmes retenues du père.

L’exploit est inédit depuis le podium de… Jacques Villeneuve au Grand Prix d’Allemagne en 2001. Pourtant le commentateur reste dur. « Il s’est bien débrouillé, mais il est le seul pilote à tester entre les courses. C’est un peu dur à avaler. Il faut que l’argent ait une limite, et là, ça repousse la limite. »

En cause, le long programme d’essais réalisé avant et pendant le championnat par Lance Stroll au volant d’une Williams, et financé par le papa. Lance Stroll répondra sur la piste, le 3 septembre 2017 à Monza où, sous des trombes d’eau, il devient le plus jeune pilote de l’histoire à partir en première ligne d’un Grand Prix.

« Je n’écoute plus Jacques Villeneuve »

Un an plus tard, Lance Stroll n’a pas oublié. Après avoir terminé 14e en Australie le 25 mars, le Québécois veut en finir : « Il [Jacques Villeneuve] avait déclaré l’an dernier que j’étais la pire recrue en F1, et [en 2017] j’ai amassé 40 points au général, soit trois de moins que mon coéquipier [Felipe Massa] qui comptait seize saisons d’expérience. Je n’écoute donc plus ce que Jacques a à dire. »

Lance Stroll n’a pas que des ennemis. François Dumontier président du Grand Prix du Canada, a, par exemple, témoigné sur Radio-Canada le 3 novembre 2016 de la passion qui unit le père et le fils depuis l’enfance. Tom Kemp, premier instructeur de Lance Stroll alors qu’il avait quatre ans, se souvient, pour sa part, des tours « d’une régularité impressionnante à cet âge ».

Lance Stroll bénéficiait, il est vrai, d’une mini-piste de kart construite pour lui dans un coin du circuit Mont-Tremblant, propriété paternelle. Sur la tête du bambin ? Le casque que Michael Schumacher, son idole, lui a donné après sa victoire au Grand Prix du Canada de 2004.

Ainsi équipé, Lance Stroll va gravir un à un les échelons qui mènent à la F1, mêlant performances et argent. Deux fois champion du Canada de kart et une fois vice-champion de 2008 à 2010, il débute à douze ans en monoplace.

Lawrence Stroll ayant décidé de participer au financement du programme développement de la Ferrari, la célèbre écurie italienne prend en charge la formation du fiston. Et en 2014, celui-ci remporte le championnat italien F4 avec l’écurie Prema, rachetée par son père. Le passage en F3 est validé.

« Y a-t-il de pires pilotes actuellement en F1 ? Je le crois »

Deux épisodes vont marquer son ascension. D’abord le 30 mai 2015 à Monza, la monoplace de Lance Stroll fait plusieurs tonneaux avant de retomber sur ses essieux. Le pilote, indemne, enchaîne par un premier podium en F3 le 1er août et une première victoire le 17 octobre.

Ensuite, fin 2015, Lance Stroll quitte Ferrari pour Williams, où il est promu pilote de développement. Parallèlement, il survole le championnat 2016 de F3, avec 14 victoires en 30 courses. Avant le grand saut en F1…

Aujourd’hui, déçu par sa deuxième saison chez Williams, dernière écurie au classement des pilotes, Lance Stroll, 17e avec six points, est en attente de transfert chez Racing Point Force India, à la veille du Grand Prix de Singapour du 16 septembre. Cette écurie, malgré tout l’argent paternel (hors rachat de Force India, Lawrence Stroll aurait déboursé 70 millions pour son fils), ne fait toutefois par partie du « top team ».

« Bien sûr, cela aide que son père soit un milliardaire, car cela lui a permis d’obtenir une place chez Williams, analyse pour Le Monde le chroniqueur sud-africain, Dieter Rencken, spécialiste de la F1 depuis une vingtaine d’années. Mais si Lance avait voulu être avocat ou médecin plutôt que pilote de F1, personne n’aurait dénoncé le fait que son père lui ait payé la meilleure université du monde – le garçon devant ensuite étudier et faire ses preuves, comme Lance l’a fait en F3. »

Restent les « vraies questions », que résume Dieter Rencken : « Y a-t-il de pires pilotes actuellement en F1 ? Je le crois. Est-ce que Lance mérite d’être sur la grille, hors facteur financier ? Oui. L’aurait-il fait sans l’argent de son père ? C’est peu probable, étant donné qu’il n’y a que 20 places – mais beaucoup d’avocats ou de médecins n’auraient pas fait carrière sans l’argent de leur famille non plus… »