L'Aquarius a quitté Marseille le 15 septembre. Il était à quai depuis le 27 août pour des raisons liées, entre autres, au retrait du pavillon par Gibraltar. / SAMUEL GRATACAP POUR "LE MONDE"

L’Aquarius a progressé dimanche 16 septembre dans une mer de velours, après avoir quitté Marseille la veille et mis le cap sur la Méditerranée centrale. En début de soirée, le navire humanitaire des ONG SOS Méditerranée et Médecins sans frontières (MSF) a allumé un troisième moteur pour faire route à 10,8 nœuds. Plus tôt dans la journée, signe que les tentatives de traversée se poursuivent, une embarcation en détresse a été repérée au large des côtes libyennes, avec à son bord une centaine de personnes, d’après l’ONG Pilotes Volontaires, qui réalise une mission de surveillance aérienne.

Deux jours supplémentaires de navigation devraient être nécessaires pour atteindre la zone de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale. Un long périple rendu obligatoire depuis que l’Italie a fermé ses ports aux ONG cet été, sous l’impulsion de son ministre de l’intérieur Matteo Salvini, et que l’Aquarius a renoncé à son traditionnel port d’attache en Sicile. Le bateau s’était également vu refuser pendant l’été une escale technique par Malte et s’est donc rapproché de Marseille.

Dans un contexte de crispation européenne, les opérations humanitaires ont été largement remises en question ces derniers mois. Plusieurs navires sont toujours bloqués à quai à Malte, tandis que l’ONG espagnole Proactiva a renoncé à patrouiller au large de la Libye. Actuellement, aucun navire d’ONG n’est donc présent dans cette zone. Pendant ce temps, même si les départs n’ont jamais été aussi bas depuis quatre ans, le taux de mortalité sur la route de la Méditerranée centrale est en forte hausse en 2018, d’après le Haut commissariat pour les réfugiés des Nations Unies.

« Un avant et un après Valence »

« Il y a définitivement un avant et un après Valence », souligne Laura Garel, porte-parole de SOS Méditerranée. Après les premiers refus italien et maltais, la ville espagnole avait accueilli en juin le navire humanitaire et 630 migrants à son bord. « Tout l’été, nous avons avancé au cas par cas, poursuit Laura Garel. Sans avoir aucune visibilité sur les ports dans lesquels nous pourrions débarquer les personnes secourues, comme si le cadre légal avait été mis de côté ».

L’Aquarius doit aussi composer avec la montée en puissance des gardes-côtes libyens. D’ordinaire, les opérations de secours aux embarcations en détresse étaient coordonnées par les autorités maritimes italiennes. « Depuis fin juin, l’organisation maritime internationale a reconnu officiellement la compétence de la Libye en matière de coordination des opérations de recherche et de sauvetage [dans les eaux internationales] au large du pays », souligne Laura Garel. Le 10 août, au cours de sa précédente mission, l’Aquarius a donc pris attache avec les autorités de Tripoli après avoir repéré deux embarcations en détresse. « Nous n’avons pas eu de retour dans un premier temps, narre Laura Garel. Finalement, les Libyens ont assumé la coordination des secours mais nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas nous procurer un port sûr pour débarquer les personnes. Après cela, l’Italie et Malte ont refusé de nous accueillir. Au terme de quatre jours d’attente, nous avons finalement pu nous rendre à Malte ».

Dans cet environnement incertain, SOS Méditerranée et MSF tentent de réaffirmer leur cadre d’intervention : « Si nous avons des raisons de penser qu’une embarcation fait face à un danger imminent, nous porterons secours aux personnes sans délai, expliquaient les deux ONG dans un communiqué cet été. S’il nous est demandé de débarquer des gens en Libye ou de les transférer sur un bateau des gardes-côtes libyens, nous nous y opposerons fermement dans la mesure où la Libye, actuellement, ne peut pas être considérée comme un lieu sûr, selon les conventions maritimes internationales ».

L’organisation matérielle a été revue

Alors que les navires humanitaires ont été pris à partie par les gouvernements européens, accusés notamment de faire le jeu des réseaux de passeurs, SOS Méditerranée a également souhaité faire un effort de transparence. Un poste de chargé de la recherche et de la documentation a été créé à bord, dont le rôle est notamment d’alimenter un registre public et accessible en ligne, le « logbook » : « J’y recense à la fois nos opérations et ce dont on est témoin, explique Kiri Santer, qui occupe ce poste sur la passerelle du bateau. Si, par exemple, il y a eu des cas de non-assistance d’embarcations en détresse, je peux les documenter et les archiver ».

L’Aquarius a enfin revu son organisation matérielle : « Avant, nous savions que nous pouvions débarquer des personnes secourues au bout de deux ou trois jours mais, maintenant, on se prépare à des attentes longues en mer », explique Edouard Courcelle, chargé pour MSF de la logistique à bord.

Les stocks de nourriture ont notamment été revus à la hausse. Et les kits de survie adaptés. « Dix jours en mer avec des personnes rescapées, ça implique d’améliorer les conditions d’hygiène mais aussi de confort, poursuit Edouard Courcelle. On a par exemple ajouté des brosses à dent et du dentifrice à nos kits ». De la même façon, alors qu’une seule douche avait été prévue sur le pont du navire, pour les personnes brûlées par le mélange d’eau salée et d’essence, désormais des douches de confort ont été pensées pour tout le monde.

Un container réfrigéré a enfin été installé sur le pont avant du bateau, dans lequel pourront être conservés les corps sans vie. Jusque là, ceux-ci étaient installées dans des sacs mortuaires. « Pour refroidir les corps, on enroulait les sacs mortuaires dans des couvertures que l’on arrosait et l’évaporation évacuait suffisamment de calories pour préserver une température acceptable », détaille Edouard Courcelle.

Depuis sa première opération en février 2016, l’Aquarius a régulièrement pris en charge des corps. Dimanche soir, Pilotes Volontaires rapportait que les gardes-côtes libyennes avaient intercepté l’embarcation en détresse repérée plus tôt dans la journée. Les personnes devaient être ramenées en Libye.