Anwar, un réfugié soudanais, dans son studio à Vichy, en décembre 2017. / Sandra Mehl pour Le Monde

Chronique. Il est saisissant de voir l’écart entre l’apprentissage du français à l’oral et à l’écrit. Trois ans après leur arrivée, certains réfugiés ont encore du mal à déchiffrer les mots manuscrits ou à écrire à la main une adresse sur une enveloppe. Rédiger une lettre de motivation, recopier trois ou quatre paragraphes, cela peut leur prendre plus d’une heure.

C’est normal, cela fait à peine un an ou deux que les membres des Soudan Célestins Music, le groupe de réfugiés de Vichy que Le Monde suit dans le cadre du programme Les Nouveaux Arrivants, apprennent à écrire à la main l’alphabet latin. L’apprentissage de la langue parlée est beaucoup plus rapide. Chaque jour, les réfugiés attrapent de nouveaux mots qui flottent dans la rue ou qui sortent des écrans.

« Soudan mon Soudan »

Un jour, assis à l’arrière de la voiture à côté d’Alsadig, je l’entends qui chantonne une chanson de Louane, « On était beau ». Très surpris par ce choix, je lui demande ce qu’il aime dans cette chanson. « Elle est jolie. Elle dit “Je pense à toi”. Moi aussi. » Pas besoin d’aller plus loin. J’ai compris que la répétition des « Je pense à toi » ne pouvait que résonner dans le cœur d’un exilé qui pense aux siens.

Louane - On était beau (Clip Officiel)
Durée : 03:23

Alsadig, futur électricien et guitariste-poète à ses heures perdues, a été l’un des premiers à écouter en boucle « C’est déjà ça », d’Alain Souchon, qu’il appelle « Soudan mon Soudan ». Une chanson à laquelle ils s’identifient forcément car elle raconte leur vie. Pourtant, quand elle est sortie, en 1993, ces réfugiés n’avaient que 2 ou 3 ans.

Alain Souchon - C'est déjà ça (Clip officiel)
Durée : 03:45

Pas besoin de comprendre toute la chanson, quelques mots et un air entraînant suffisent pour graver des paroles à répéter en boucle. C’est ainsi que Faisal me dit que ses chansons françaises préférées sont « Je pense à toi » – encore les mêmes mots –, des Maliens Amadou et Mariam, et « Couleur café », de Serge Gainsbourg.

Je Pense a toi - Amadou et Mariam
Durée : 05:14

Pour Ahmed, le romantique chanteur des Soudan Célestins Music qui a dû fêter son mariage éloigné de sa bien-aimée – son frère a pu récupérer les papiers officialisant l’union deux ans après, alors qu’il était déjà parti –, ses morceaux préférés chantent l’amour et le mariage : « Jour J », de DJ Kayz, dit « on va se marier » et « on ne se quittera jamais » et mélange des mots en arabe et en espagnol pour une fête de mariage avec des invités de tous les pays.

DJ Kayz feat. Wassila & Scridge - Jour J (Clip Officiel)
Durée : 03:39

Il n’en faut pas plus à Ahmed, qui trouve « adorables » les « paroles d’amour » de « Tout donner », du rappeur franco-congolais Maître Gims.

Maître Gims - Tout donner (Clip officiel)
Durée : 04:27

Musiques de l’exil

Pour Hassan, le musicien du groupe, impossible de ne citer que deux titres. Comme beaucoup d’autres réfugiés, il aime le style de Maître Gims et notamment sa chanson « Bella », mais aussi les paroles d’amitié de « Frérot », d’un autre rappeur, le Franco-Guinéen Black M.

Black M - Frérot (Clip officiel) ft. Soprano
Durée : 03:46

En zappant sur YouTube – c’est ainsi qu’ils découvrent nombre de morceaux qui me sont totalement inconnus – il a également repéré le très festif « Chocolat », du Marocain Lartiste.

Lartiste - Chocolat feat. Awa Imani
Durée : 04:23

Hassan, spécialiste des fêtes de mariage au Soudan, connaît aussi « Y’a du soleil et des nanas » ! « Un jour, je travaillais aux Jardins de Cocagne, il y a eu une visite de plusieurs femmes. Et il faisait beau. Un de mes collègues a dit “il y a du soleil”, il m’a regardé et a ajouté : “et des nanas !”… C’est comme ça que j’ai connu cette chanson. »

Y'a du Soleil et des Nanas - Officiel Bronzé
Durée : 03:27

Nul doute que, quel que soit le style – et en attendant d’apprendre à mieux lire et écrire –, la musique rapproche les réfugiés du pays dans lequel ils habitent. C’est pourquoi participer à un projet d’album de musiques de l’exil, pour lequel ils ont été sélectionnés par l’association Engage with Refugees, est le prochain défi qui leur tient à cœur. Rendez-vous en décembre.

Pablo Aiquel est journaliste indépendant. Il travaille pour La Gazette des communes comme correspondant Auvergne et ruralités.