Emmanuel Macron lors des Journées européennes du patrimoine au palais de l’Elysée, le 15 septembre 2018. / ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

« Pognon de dingue », « Tu m’appelles Monsieur le président », « La meilleure façon de se payer un costard c’est de travailler » Le quinquennat d’Emmanuel Macron est ponctué de ces « petites phrases » prononcées par le président de la République lors de discussions informelles. Et dans une nouvelle approche de la communication politique, elles sont parfois même diffusées par son équipe ou relayées dans les médias.

Dernier exemple en date, dimanche 16 septembre, lors d’un échange avec un jeune horticulteur en recherche d’emploi venu visiter l’Elysée à l’occasion des Journées européennes du patrimoine : « Je traverse la rue, je vous en trouve [du travail] », lui a lancé Emmanuel Macron, évoquant les multiples restaurants et cafés disposés à embaucher « des gens qui sont prêts à travailler ».

Vue près de deux millions de fois sur Twitter, la séquence a été commentée et détournée de nombreuses fois par des internautes, qui soulignent la difficulté à trouver du travail après une période de chômage.

Le lancement d’une boutique de l’Elysée proposant des t-shirts flanqués des expressions les plus emblématiques du président (« croquignolesque », « poudre de perlimpinpin », etc.) et autres produits dérivés témoigne par ailleurs d’un marketing politique inédit pour un président de la République qui fait la part belle au « storytelling » de son quinquennat. Là aussi, de nombreux internautes en ont profité pour railler la démarche.

Des critiques pourtant peu pénalisantes pour l’image de M. Macron, selon Christian Delporte, professeur des universités en histoire contemporaine et notamment auteur de La Communication politique (Le Lombard, 2017), pour qui les propos du chef de l’Etat font partie d’une stratégie assumée pour faire comprendre sa vision du marché du travail.

Lire aussi, suite aux propos d’Emmanuel Macron  : Derrière les chiffres des emplois non pourvus

La phrase prononcée par Emmanuel Macron résulte-t-elle, selon vous, d’une stratégie politique ?

Lorsque Emmanuel Macron s’exprime et qu’il y a une caméra, il contrôle tout ce qu’il dit. C’est une stratégie d’occupation du terrain médiatique pour que le débat tourne autour de lui. Et les petites phrases précédentes relèvent de la même stratégie : celle de se montrer en président qui n’a pas peur d’aller au contact, qui dit ce qu’il pense, qui ne pratique pas de langue de bois.

Dans les sondages, son image s’est beaucoup dégradée sur les aspects jugés très positifs par l’électorat d’Emmanuel Macron, mais aussi par l’électorat de droite : son côté dynamique, volontariste, prêt à changer des choses, direct… Des voix s’élèvent aujourd’hui pour retrouver le « Macron des origines ».

La petite phrase d’hier, à la veille d’une grande réforme sociale, au contact de la jeunesse, allait sans doute dans ce sens. Mais ce qui aurait pu être jugé positif il y a quelques mois, lorsque l’image n’était pas abîmée, ne l’est pas nécessairement aujourd’hui, à l’heure où l’opinion n’attend plus des intentions mais des résultats.

Dans ce cadre, le président jupitérien, c’est du passé. Cette posture était là pour casser le passé hollandiste et retrouver le prestige de sa fonction, mais n’a donné qu’une image de distance et d’arrogance. « L’autorité ne va pas sans prestige, ni le prestige sans l’éloignement », disait le général de Gaulle. Cette stratégie n’a pas eu le même effet avec Emmanuel Macron, et sa cote de popularité en souffre.

Les critiques soulevées par son intervention remettent-elles en question l’efficacité de cette stratégie de retour au terrain ?

Ceux qui s’indignent de cette petite phrase ne sont pas forcément les électeurs de M. Macron. Elle peut même porter dans une partie de la population, dont de nombreux retraités, qui pensent que si on est au chômage, c’est que l’on ne fait pas suffisamment d’efforts pour trouver du travail.

Quand vous regardez les réseaux sociaux, il y a effectivement toutes les réactions indignées, mais certains témoignent aussi avoir débuté par un travail complètement différent de celui qu’ils ont maintenant. Cela montre que ces propos rencontrent quand même un certain écho.

Pour le chef de l’Etat, ces petites phrases seraient donc un moyen comme un autre d’exposer sa ligne politique, ici sur le marché du travail.

Emmanuel Macron met en avant l’idée que le chômage n’est pas seulement un problème national, un problème collectif ou le problème de l’Etat mais aussi un problème personnel, ce qu’il pense sincèrement. Il porte l’idée que les choses peuvent être simples, qu’on peut commencer avec un premier boulot, puis un second, avant peut-être de faire ce que l’on veut.

Par ailleurs, il a quand même un modèle en tête. C’est sa vision du marché du travail, proche de celle des Anglais : au Royaume-Uni, quand vous avez refusé deux propositions d’emploi par exemple, vous ne touchez plus d’allocations. Ces petites phrases sont à la fois stratégiques et sincères, elles accompagnent et préparent l’opinion sur le contenu des grandes réformes à venir.

Le président de la République a ignoré les critiques soulevées par le lancement d’une « Boutique de l’Elysée ». Comment ce projet s’inscrit-il dans sa communication ?

On ne peut évoquer l’Elysée sans la personnaliser, et donc lier son image à Emmanuel Macron. Les gens qui ont acheté des souvenirs ont acheté un petit bout de M. Macron. Mais cette personnalisation de la fonction présidentielle n’est pas une tradition en France, et l’initiative passe moins bien qu’aux Etats-unis, par exemple. Donald Trump avait commercialisé une boîte, envoyée tous les mois et remplie de goodies à son effigie pour financer sa campagne. C’est une vieille tradition américaine et là-bas cela ne choque pas.

Cependant, ceux qui ont acheté des objets dérivés de l’Elysée ne sont pas des partisans de La France insoumise, du Rassemblement national ou des Républicains, ils sont macronistes ou n’ont peut-être même pas d’avis tranché sur la politique, ce qui rend la polémique peu dommageable pour Emmanuel Macron. Sincèrement, dans une semaine, plus personne ne parlera de la boutique de l’Elysée. En revanche, on continuera de parler de l’attitude de M. Macron, on parlera de la réforme du chômage avec en tête ce qu’il a dit, dimanche, à cet horticulteur.