Le candidat à la Cour suprême Brett Kavanaugh, le 6 septembre. / J. Scott Applewhite / AP

Un obstacle imprévu vient de se dresser sur la route qui doit conduire Brett Kavanaugh à un siège de juge à la Cour suprême des Etats-Unis. A quelques jours des votes fatidiques prévus au Sénat, après une audition âpre mais globalement maîtrisée, une femme de 51 ans a témoigné publiquement dans les colonnes du Washington Post, dimanche 16 septembre, sur une agression sexuelle dont le candidat de Donald Trump se serait – selon elle – rendu coupable alors qu’il avait 17 ans, au cours d’une soirée alcoolisée, au début des années 1980.

Christine Blasey Ford l’avait évoquée pour la première fois en 2012 dans l’intimité du cabinet d’un médecin sollicité pour l’aider, elle et son mari, à surmonter des problèmes psychologiques liés selon elle à cette agression tenue secrète. A l’époque, Brett Kavanaugh, passé par l’administration de George W. Bush (2001–2009), poursuivait une brillante carrière à la cour d’appel du District de Columbia, la plus prestigieuse du pays. Christine Blasey Ford n’avait pas dévoilé son identité, seulement son appartenance à l’élite washingtonienne.

Comme elle le raconte au Washington Post, la perspective de la nomination de Brett Kavanaugh l’a poussée tout d’abord à s’en ouvrir auprès de la représentante démocrate de sa circonscription de Californie. Puis, par courrier transmis au début de l’été, à Diane Feinstein, sénatrice de son Etat et plus haute responsable démocrate de la commission qui supervise le processus de nomination. Elle avait prié l’élue de ne pas révéler son identité. A aucun moment, Diane Feinstein n’a mentionné cette correspondance pendant l’audition en commission de Brett Kavanaugh.

Des fuites dans la presse, notamment dans le New Yorker, le 14 septembre, sous la plume de Ronan Farrow, l’un des journalistes américains les plus en pointe dans les révélations de harcèlement sexuel concernant de hautes personnalités américaines, ont contraint manifestement Diane Feinstein à sortir de son silence. Elle a annoncé le 13 septembre qu’elle avait saisi le FBI des allégations avancées par Christine Blasey Ford – en préservant toutefois son anonymat.

Démenti catégorique

Brett Kavanaugh y a répondu par un démenti aussi catégorique que définitif. « Je n’ai pas fait cela, que ce soit au lycée ou à n’importe quel autre moment », a-t-il assuré au New Yorker. Il a été appuyé par une lettre rendue publique par le président de la commission, le républicain Chuck Grassley (Iowa). Dans cette missive, 65 femmes proches du candidat à la Cour suprême au moment de son adolescence, assurent que ce dernier les a toujours traitées avec respect et considération. La Maison Blanche s’est vivement étonnée pour sa part de la soudaine irruption de cette affaire, jamais évoquée auparavant. Un autre homme présent au moment des faits selon Christine Blasey Ford a indiqué n’avoir aucun souvenir de l’incident.

Christine Blasey Ford assure au Washington Post que ces fuites ont rendu inéluctables ce qu’elle souhaitait éviter : la révélation de son nom et l’exposition délicate de sa famille compte tenu de l’extrême polarisation qui entoure la confirmation par le Sénat du choix du président. Il concerne en effet un poste occupé auparavant par un juge conservateur plus modéré que Brett Kavanaugh. L’accusatrice, inscrite sur les listes électorales en tant que démocrate, a pris ses précautions en s’attachant les services d’une avocate réputée dans ce type d’affaires, Debra Katz, qui l’a soumise avec succès selon le Washington Post à un détecteur de mensonges.

Le candidat à la Cour suprême, un poste qui exige les plus hautes qualités humaines, est sans doute moins menacé par les faits, difficilement prouvables et certainement prescrits, que par son attitude face à une telle accusation, dans le contexte du débat douloureux sur la légitimité des dénonciations de harcèlement ouvert par le mouvement #MeToo. Que Donald Trump ait nommé Brett Kavanaugh ne peut que compliquer sa tâche compte tenu de la riposte du président aux accusations similaires dont il a été la cible pendant la campagne présidentielle.

Procédure à marche forcée

Dans l’ouvrage consacré à cette administration publié par Bob Woodward le 11 septembre (Fear : Trump in the White House, Simon and Schuster, non traduit), une citation prêtée au président donne une idée de sa stratégie face à une affaire de ce type. « Il faut nier, nier, nier, et faire reculer ces femmes, assure-t-il à un ami mis en cause dans une histoire similaire, si tu admets la moindre chose, la moindre culpabilité, tu es un homme mort. »

La direction républicaine du Sénat a réagi dimanche en mettant notamment en avant le fait que Brett Kavanaugh a fait l’objet d’enquêtes de la police fédérale avant chaque nomination à un poste de premier plan, soit à « six reprises » selon le décompte dressé par le sénateur républicain Orrin Hatch (Utah). Ce dernier, comme Thom Tillis (Caroline du Nord) suspecte une manœuvre d’obstruction de dernière minute du camp démocrate qui n’a jamais masqué, dès la nomination de Brett Kavanaugh, qu’il ferait en sorte de l’empêcher.

Décidés à confirmer ce candidat à marche forcée, les républicains du Sénat ont indiqué qu’ils n’entendent pas ralentir la cadence alors qu’un vote est prévu en commission le 20 septembre. Conçu pour mobiliser le camp conservateur avant les élections de mi-mandat prévues le 6 novembre, cet empressement pourrait s’avérer cependant à double tranchant.

Un sondage publié le 11 septembre par CNN a montré, avant même la controverse sur le passé de Brett Kavanaugh, que ce dernier divise profondément les personnes interrogées. En effet, 39 % désapprouvent une éventuelle confirmation, contre 38 % qui sont d’un avis contraire. Il s’agit du plus faible taux d’adhésion jamais mesuré pour un candidat à la Cour suprême depuis trente ans.