LES CHOIX DE LA MATINALE

Une chevauchée dans l’Ouest américain avec les frères Sisters, chargés de trucider un chimiste qui met la ruée vers l’or à la portée de tous, un duo fusionnel entre une ado et son père, ancien combattant meurtri, dans une forêt de l’Oregon, et une plongée dans le monde parisien de la nuit, du plaisir et du banditisme au début des années 1980… trois bonnes raisons de fréquenter les salles obscures cette semaine.

« Les Frères Sisters » : Jacques Audiard à la conquête de l’Ouest

LES FRERES SISTERS Bande Annonce (2018) Jake Gyllenhaal, Joaquin Phoenix
Durée : 02:20

La confrontation à l’Amérique est une expérience sporadiquement tentée par des auteurs français. Jacques Audiard marche aujourd’hui dans leurs pas en choisissant le western, genre canonique reposant peu ou prou six pieds sous terre, donc risqué à exhumer. L’affaire se présente comme suit, telle que retravaillée du roman éponyme à succès de l’écrivain canadien Patrick deWitt (Actes Sud, 2012). Deux redoutables tueurs à gages, Eli Sisters (John C. Reilly) et Charlie Sisters (Joaquin Phoenix) chevauchent, aux alentours de 1850, l’Ouest américain. Leur but est de régler son compte à Hermann Kermit Warm (Riz Ahmed), chimiste malin qui a inventé une formule secrète transformant la ruée vers l’or en promenade de santé.

Eli et Charlie sont en liaison à distance avec le détective John Morris (Jake Gyllenhaal), chargé de gagner l’amitié de l’utopiste et de les renseigner sur sa localisation mouvante. Deux récits parallèles cheminent ainsi dans ce western picaresque. Celui des deux brutes fraternelles qui se révèlent, entre deux cadavres laissés sur le carreau, en mal de réussite et de tendresse. Et celui qui réunit, à un niveau de civilisation légèrement supérieur, le chimiste et le détective qui ne vont pas tarder à œuvrer ensemble à l’idéal du futur phalanstère. Deux modèles de société qui marchent chacun de son côté jusqu’au moment où les tandems se rejoignent enfin, en un rebondissement qui emmène le film dans une direction totalement inopinée, du côté du conte de fées onirique. Jacques Mandelbaum

Film franco-américain de Jacques Audiard. Avec Joaquin Phoenix, John C.Reilly, Jake Gyllenhaal, Riz Ahmed (1h57).

« Leave No Trace » : le père, la fille et l’esprit des bois

LEAVE NO TRACE | Official Trailer
Durée : 03:09

Comme les frères Grimm, Debra Granik aime raconter des histoires de jeunes filles perdues au fond des bois. Ce n’est pas toujours la même histoire. Tom, l’héroïne de Leave No Trace, deuxième long-métrage de fiction de la réalisatrice, est aussi différente de Ree, la jeune chasseuse de Winter’s Bone, que le Petit Chaperon rouge l’est de la Belle au bois dormant. La tension, la terreur, le grotesque de Winter’s Bone cèdent la place à un rythme apaisé, élégiaque. Will (Ben Foster) et Tom (Thomasin Harcourt McKenzie) vivent au fond des bois d’un parc national de l’Oregon. Ancien combattant d’une de ces guerres sans fin que livre son pays contre le reste du monde, Will est incapable de supporter le commerce de ses semblables – à une exception, sa fille.

La première partie du film est brève : Debra Granik y met en scène l’existence de cette famille des bois. De temps à autre, ils vont à la ville toucher la pension d’ancien combattant de Will et retirer les médicaments psychotropes qu’on lui a prescrits, et qu’il revend. Mais cette idylle verte est brutalement interrompue par les rangers du parc, auxquels succèdent bientôt les services sociaux. Le père et la fille ont beau avoir traversé d’épouvantables malheurs, leur histoire ne sera pas une tragédie. Leave No Trace sera moins l’histoire d’une cavale que celui du passage d’une enfant à l’âge de femme. Thomas Sotinel

Film américain de Debra Granik, avec Thomasin Harcourt McKenzie, Ben Foster (1 h 49).

« L’amour est une fête » : plongée hédoniste dans la nuit

L'AMOUR EST UNE FÊTE Nouvelle Bande Annonce (Guillaume Canet, Comédie Française 2018)
Durée : 02:27

Bienvenue dans l’ancien monde. Paris, 1982, Le Mirodrome. Un peep show de Pigalle en déclin tenu par Franck (Guillaume Canet) et Serge (Gilles Lellouche), qui ont l’idée de tourner de courts pornos amateurs. L’affaire reprend de plus belle. Au point qu’une bande cagoulée vient la leur détruire intégralement. Monde voluptueux de la nuit, du désir, du plaisir, mais aussi de la violence, du banditisme, de l’illégalité. De nouveau mis à terre, Franck et Serge se tournent donc vers un professionnel du X (Michel Fau) pour se relancer encore une fois. Sauf que les deux compères se révèlent être des flics infiltrés dans le milieu du sexe pour y frapper un gros coup et siffler la fin de la récréation des seventies.

L’idée de Cédric Anger, pour le dire avec la finesse des titres de films olé olé de l’époque, n’est pourtant pas que ces personnages frappent un grand coup, mais qu’ils se contentent de le tirer. Plus élégamment dit, que la loi cède devant le désir, que l’exultation des corps et l’ivresse des sens défient l’hypocrisie de la société du contrôle et les ligues de vertu. L’histoire de ce film immoral et erratique, mû par une fantaisie hédoniste, est donc celle de la lente dérive de deux flics, de la lugubre brigade des mœurs vers la libération de leurs propres mœurs. L’amour est une fête est un film impertinent, qui ne se fera pas que des ami(e) s dans sa propre époque. J. M.

Film français de Cédric Anger. Avec Guillaume Canet, Gilles Lellouche, Michel Fau (1 h 59).