Joseph Darnand, secrétaire général au maintien de l'ordre, et le sous-préfet de Vichy, pendant la minute de silence lors de la prise d'armes au monument aux morts à Vichy, vers 1940. / KEYSTONE FRANCE / GAMMA RAPHO

France 3, mercredi 19 septembre à 21 heures, documentaire

Policier français ? Un ­métier d’avenir, surtout en 1941. Alors qu’une moitié du territoire est occupée par l’armée allemande et que la zone dite « libre » est ­dirigée par le régime collaborationniste de Vichy, de profondes réformes structurelles sont engagées par des proches du maréchal Pétain pour moderniser la police. Le 23 avril 1941 voit la naissance de la police nationale. Auparavant, les agents étaient municipaux. Au sein du ministère de l’intérieur est créée la Direction générale de la police nationale, elle-même ­divisée en trois entités : la police judiciaire, les renseignements ­généraux, la sécurité publique. Une organisation qui perdure des décennies plus tard.

Autre mesure-choc : la création des GMR (groupes mobiles de sécurité), corps d’élite consacré au maintien de l’ordre, les ancêtres des CRS. Une Ecole nationale pour la formation des cadres ouvre près de Lyon, des écoles régionales de police apparaissent un peu partout. Les moyens alloués à cette nouvelle police française sont sans précédent : nouveaux locaux, salaires revalorisés, uniformes inspirés de la SS pour les gradés, rien n’est trop beau pour la police française, version Vichy.

Esprit de coopération « étonnamment bon »

Une police qui n’a pas attendu 1941 pour se mettre au service de l’occupant, comme le rappelle ce passionnant documentaire signé du réalisateur David Korn-Brzoza (auteur prolifique dont les récents Jeunesses hitlériennes, l’endoctri­nement d’une nation, en 2017, et 68, sous les pavés… les flics, en 2018, ont été très remarqués) et de l’historien Laurent Joly, auteur de L’Etat contre les juifs. Vichy (à paraître le 26 septembre chez Grasset), dont les principaux axes ont nourri l’écriture de ce film. Dès 1940, en zone occupée, les Allemands sont en effet agréablement surpris par l’esprit de coopération « étonnamment bon » qui règne chez les policiers français. La suite des événements ne fera que confirmer cet état de fait, du moins jusqu’en 1943. Précédant souvent les demandes les plus abjectes des responsables SS en poste en France, les autorités de Vichy iront jusqu’à sacrifier des enfants juifs sans que l’occupant le demande.

Enrichi d’une multitude d’archives colorisées filmées au cœur du dispositif policier de l’époque, ce documentaire y ajoute une narration originale en s’inspirant de la rotoscopie, technique qui intègre dans l’image des témoins sans faire appel à des scènes de reconstitution. « Pour mieux interroger la nature, les usages des pouvoirs de police en temps troublés et souligner leurs contradictions, ce film propose de convoquer les hommes d’Etat responsables de la mise en place des politiques policières et de leur exercice… Si les dirigeants et les responsables de la police sous Vichy ont laissé de très rares traces dans les archives filmées, ils ont en revanche laissé une vaste manne de paroles consignées : leurs ­Mémoires, les dépositions au cours de leurs interrogatoires et procès après guerre, leurs correspondances. Cette matière, rarement exploitée dans les documentaires historiques, est l’élément central du film », explique ­Korn-Brzoza.

Lâcheté crasse et fierté glaçante

De fait, grâce à ce procédé, les six hauts responsables de la police sous Vichy (Adrien Marquet, ­Marcel Peyrouton, Pierre Pucheu, Pierre Laval, Joseph Darnand, René Bousquet, joués par des ­comédiens) apparaissent et leurs propos, oscillant entre lâcheté crasse et fierté glaçante, font froid dans le dos. « Une voix off historienne assure le contrepoint in­dispensable à la parole de nos ­témoins vichystes », souligne le réalisateur. Le résultat final est aussi édifiant que remarquable.

La police française moderne est donc bien née sous Vichy. Tout au long du documentaire, l’effi­cacité des forces de sécurité de l’ordre nouveau est démontrée : fichages massifs et détaillés, arrestations de masse, opérations musclées, écoutes perfectionnées, infiltrations de réseaux de la Résistance, tout y est. Dès la fin 1940, des ­réfugiés politiques allemands (notamment d’anciens ministres) installés en France sont ­livrés par la police de Vichy aux autorités allemandes. Ce n’est qu’une répétition générale, le pire est à venir : en octobre 1941, Pierre Pucheu commettra une faute ­irréparable en transmettant lui-même une liste de noms d’otages à fusiller aux Allemands.

Fin 1941, la création de redou­tables polices parallèles (service de police anticommuniste, police des questions juives, service des sociétés secrètes pour lutter ­contre les francs-maçons) fait tourner la machine répressive française à plein régime. Il faudra attendre la fin, autrement dit le 19 août 1944, lorsque 200 policiers s’emparent de la Préfecture de police, pour renverser la tendance. « La participation de la police à la libération de Paris a été une action nécessaire. Dans le cas contraire, il y aurait eu de nombreux gardiens de la paix et gradés qui se seraient retrouvés pendus à des crochets de boucher, tant ils avaient laissé de mauvais souvenirs aux Parisiens », dixit un policier.

La Police de Vichy, de David Korn-Brzoza et Laurent Joly (France, 2017, 94 min).