Philippe Jore (Carpentier) et Bernard Pruvost (Van der Weyden) dans « Coincoin et les Z’inhumains » / ROGER ARPAJOU

Arte, jeudi 20 septembre à 20 h 55, minisérie

Pardon, mais des flaques de merde sont en train de nous tomber dessus depuis le ciel. Il faut, parfois, ne pas avoir peur d’appeler un chat un chat. Vous marchez dans la lande, rien n’est à signaler, et floc, vous en recevez une en plein sur la tête. Demain, votre voisin. Après-demain, le mal s’étend à la région. Qu’en sera-t-il après ? Car on sent bien que la mouise est contagieuse, que la fin du monde est désormais probable, possible. Mais qu’est-ce au juste que cette matière gluante et puante qui tombe dru et vous transforme ? La faute à quoi ou à qui ?

Ne cherchez pas plus loin : le responsable se nomme Bruno Dumont. Rien de mieux à penser qu’à faire tomber sur ses « pays » du nord de la France de la bouse à pleine dose. Il est comme ça Bruno, faut pas trop le chercher. La chute des matières s’observe en tout état de cause dans Coincoin et les Z’inhumains, minisérie en quatre épisodes conçue pour Arte – diffusée à partir du jeudi 20 septembre – en sa qualité de suite plus qu’attendue d’un P’tit Quinquin qui s’était taillé en 2014 un des succès historiques de la chaîne (1,3 million de téléspectateurs en moyenne pour chacun des quatre épisodes).

Noirceur très inquiétante

Si P’tit Quinquin pouvait se définir comme un polar surréaliste, Coincoin est un essai de science-fiction burlesque. On y retrouve les héros qui nous sont chers, à commencer par le couple de gendarmes nationaux loufoques Van der Weyden (Bernard Pruvost) et Carpentier (Philippe Jore), la fanfare locale et, bien sûr, P’tit Quinquin (Alane Delhaye) lui-même, bien monté en graine depuis le temps. Rien de moins anodin que cette perte de l’enfance. Elle confère à ces nouvelles aventures, nonobstant leur climat farcesque, une noirceur très inquiétante.

C’est aussi que les héros évoluent avec leur temps. Quinquin, devenu Coincoin, milite aujourd’hui au Bloc, où l’on n’aime pas trop les étrangers et où il a jeté son dévolu sur Jenny, la fille dessalée, mais qui n’a pas pour autant inventé la poudre, du responsable régional. Lesdits étrangers, eux, baguenaudent dans le paysage avec constance, jetant sur les mœurs locales des regards apeurés et stupéfaits.

D’autres choses, mentionnées plus haut, tombent quant à elles régulièrement sur le coin de la figure des locaux. Elles aussi viennent d’ailleurs. Comme le souligne le gendarme scientifique : « Sédiments hors de la biosphère, mon commandant. Un hapax. » Ou encore des fientes extraterrestres invasives, qui pétrifient d’abord leurs victimes avant qu’un corps lumineux ne les ensemence et leur fasse pondre, façon Alien boulonnais, un double d’eux-mêmes, qui cohabite ensuite – ô mystère de la création dumontienne ! – plus ou moins heureusement avec l’original, revenu comme si de rien n’était à sa vie d’avant.

Rire jaune

En attendant, Bruno Dumont n’oublie pas son passé d’enseignant en philosophie, nous donnant bien à penser en même temps qu’il nous donne bien à rire. Considérez cette matière brune qui se propage un peu partout autour de nous et qui partout met au carré la connerie humaine. Ne suggère-t-elle pas qu’en stigmatisant l’étranger qui est parmi nous, homme parmi d’autres hommes qui ne le reconnaissent pas comme tel, c’est, pour le coup, à nous-mêmes que nous risquons de devenir étrangers ? Alors on rit pour ces idées, mais d’un rire jaune… Ce malaise qui poisse à travers le comique de Coincoin et les Z’inhumains est le signe que l’art de Bruno Dumont, aussi éloigné qu’il nous paraisse du réalisme, est résolument de son temps.

Coincoin et les Z’inhumains, de Bruno Dumont. Avec Alane Delhaye, Bernard Pruvost et Lucy Caron (France, 2018, 4 x 52 min).