A gauche, au premier plan, Kim Yo-jong, la soeur du leader nord-coréen, derrière, à gauche, le président sud-coréen, Moon Jae-in et, à droite, le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, à leur arrivée au siège du Comité central du Parti des travailleurs, à Pyongyang, le 18 septembre. / AP

L’économie s’est invitée en marge des débats du sommet intercoréen, du 18 au 20 septembre, à Pyongyang, et ce malgré les sanctions interdisant toute avancée concrète dans ce domaine. Car le président progressiste du Sud, Moon Jae-in, avait fait le déplacement avec les dirigeants des principaux chaebols (conglomérats sud-coréens), Samsung, LG, Hyundai ou encore SK, tous alléchés par les perspectives offertes par un possible rapprochement.

Pour M. Moon, comme pour le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, la prospérité dans la péninsule est un corollaire indispensable à la paix. « Le dirigeant Kim Jong-un et moi allons créer une nouvelle mère patrie, en tenant fermement la main de 80 millions de Coréens du Sud et du Nord. Avançons ensemble vers un avenir nouveau », a déclaré M. Moon, mercredi 19 septembre, dans l’immense stade du 1er  mai de Pyongyang, dans le premier discours jamais prononcé par un chef d’Etat sud-coréen en Corée du Nord. M. Moon y avait assisté à un imposant spectacle titré Pays glorieux aux côtés de M. Kim.

Dans la déclaration adoptée le même jour au terme du sommet, les deux dirigeants plaident pour la relance du complexe industriel de Kaesong – situé en Corée du Nord et fermé en 2016 par la présidente conservatrice sud-coréenne d’alors en raison des avancées du programme nucléaire et balistique du Nord – et du site touristique du mont Kumgang, également au Nord et fermé en 2008 après que des soldats ont abattu une touriste du Sud. MM. Moon et Kim évoquent également la création de zones économiques spéciales, la connexion des réseaux routiers et ferroviaires et des projets environnementaux. L’ouverture, le 14 septembre, à Kaesong d’un « bureau de liaison », s’inscrit dans cette perspective.

Communauté du ferroviaire

Dans son discours prononcé lors de la Journée de la libération, le 15 août, M. Moon avait appelé à créer une communauté du ferroviaire de l’Asie de l’Est réunissant six pays (les deux Corées, Chine, Russie, Japon et Etats-Unis) et inspirée de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, née en 1951, a-t-il rappelé, pour « empêcher les guerres, construire la paix et relancer l’économie ». Il a également soutenu l’idée d’une coopération économique intercoréenne qui, a-t-il expliqué, pourrait générer « 170 000 milliards de wons (130 milliards d’euros) au minimum au cours des trente prochaines années » – une estimation à relativiser, tant le chemin est long à parcourir avant d’y arriver.

Le fonds gouvernemental de coopération intercoréen, destiné à des activités ne tombant pas sous le coup des sanctions, a vu sa dotation pour le budget 2019 augmentée de 14 % à 1 100 milliards de wons (840 millions d’euros).

Face aux possibles blocages parlementaires pour de nouveaux budgets – sa formation, le parti Minjoo, ne disposant que de 43 % des sièges – M. Moon compte sur le soutien du secteur privé, ce qui n’est pas nouveau. Chung Ju-yung (1915-2001), fondateur de Hyundai et né au Nord, avait grandement contribué à la politique dite « du rayon de soleil » du président Kim Dae-jung à la fin des années 1990. En 2007, les dirigeants de SK, LG et Hyundai avaient déjà accompagné le président Roh Moo-hyun à Pyongyang.

Malgré les obstacles importants rencontrés par les quelques entreprises ayant pu opérer au Nord, les chaebols sont attirés par la situation géographique et les possibilités d’investissements dans les infrastructures comme dans l’industrie, la Corée du Nord disposant d’une main-d’œuvre bon marché et de ressources naturelles inexploitées. Certains comme Hyundai ou Samsung, ont déjà créé des structures chargées d’étudier d’éventuels projets.

Jalons d’une coopération future

Cette fois, les dirigeants présents, à commencer par Lee Jae-yong, de Samsung, dont les téléphones portables se vendraient bien au marché noir en Corée du Nord, ont rencontré Ri Yong-nam, vice premier ministre nord-coréen, en charge de l’économie. M. Lee s’est dit étonné de lire le slogan « centré sur le talent » qui « est aussi la philosophie de Samsung » et lui a fait ressentir à quel point les Coréens sont « vraiment un peuple ».

L’idée était surtout de poser les jalons d’une coopération future, les sanctions onusiennes bloquant encore toute initiative. Elles sont si sévères que « même les colis pour les réunions de familles ont dû passer une inspection de l’ONU », affirme Cheong Seong-chang, de l’institut Sejong.

« Pour que les projets intercoréens se concrétisent, Séoul doit obtenir des avancées sur la dénucléarisation », Park Soojin, chercheuse

M. Moon pourrait difficilement aller à l’encontre des sanctions onusiennes, « considérant la réputation de la Corée du Sud dans la communauté internationale ». « M. Moon ne peut pas dire non aux Etats-Unis », ajoute le professeur Cheong. Le président sud-coréen s’est engagé auprès de Washington à ne pas rompre le front commun sur les sanctions mais la volonté de Moon Jae-in de voir se concrétiser les projets intercoréens est une carte à jouer pour M. Kim. « Pour que les projets intercoréens se concrétisent, Séoul doit obtenir des avancées sur la dénucléarisation », souligne Park Soojin, chercheuse en politiques publiques au centre Wilson (Etats-Unis).

Pyongyang s’est dit prête, mercredi, à fermer sa base de lancement de missiles de Tongchang-ri en présence d’inspecteurs internationaux et à envisager le démantèlement de son principal site nucléaire à condition que Washington adopte des mesures de réciprocité, qui restent à définir. En retour, les Etats-Unis se sont dits prêts à reprendre « immédiatement » les négociations avec la Corée du Nord, dans l’impasse depuis que le président Donald Trump et Kim Jong-un se sont rencontrés le 12 juin à Singapour et se sont engagés sur la « dénucléarisation » de la péninsule, sans autre détail technique.