Marcel Campion, devant la grande roue, place de la Concorde à Paris, en novembre 2017. / JOËL SAGET / AFP

Le « roi des forains » vacille. Marcel Campion a provoqué un nouveau tollé, dimanche 23 septembre, après la publication par le site du Journal du dimanche d’une vidéo dans laquelle il tient des propos homophobes contre des responsables de la Mairie de Paris. Dans cet enregistrement, réalisé le 27 janvier lors d’une réunion publique à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), on peut entendre M. Campion déclarer :

« Moi, j’ai rien contre les homos, d’habitude je dis les “pédés”. Mais on m’a dit hier qu’il fallait plus que je dise ça. Donc je ne dis plus les “pédés”, je dis les “homos”. J’ai rien contre eux, sauf qu’ils sont un peu pervers. »

L’entrepreneur de 78 ans s’en est pris ensuite à Bruno Julliard, ancien premier adjoint d’Anne Hidalgo. « Comme il était un peu de la jaquette, dit M. Campion, il a rencontré Delanoë [maire de Paris de 2001 à 2014], ils ont fait leur folie ensemble et paf, il est premier adjoint. Avec Anne Hidalgo, il est super, (…) il lui a amené tous les homos de la terre. Toute la ville maintenant est gouvernée par des homos », poursuit-il. A la suite de ces déclarations, M. Julliard a annoncé son intention de déposer plainte. SOS Homophobie envisage également de « porter plainte suite à ces propos ignobles ».

Ces déclarations marquent un nouvel épisode dans la guerre ouverte que se livrent depuis plusieurs années l’équipe municipale de la capitale et Marcel Campion. Pourtant, pendant des décennies, le forain a régné en maître sur les fêtes foraines organisées à Paris.

Une baraque à frites à 17 ans

Né dans une famille de forains en 1940, M. Campion ouvre son premier stand, une loterie, à 14 ans, puis s’achète une baraque à frites et un manège à 17. Le jeune homme devient ensuite un véritable entrepreneur en proposant des fêtes foraines à la Ville de Paris. Et s’il n’obtient pas satisfaction, il passe maître dans les actions coups de poings. La stratégie de l’homme d’affaires est simple : s’installer d’abord et négocier ensuite.

La plus célèbre de ses actions remonte à 1985. Avec des dizaines de forains et leurs camions, il s’installe illégalement et de nuit dans le Jardin des Tuileries, à Paris. Ils y sont pourtant interdits d’accès depuis 1976. Mais Marcel Campion brandit une lettre du ministre de la culture, Jack Lang. Une missive qui est en fait falsifiée. Le ministre socialiste arrive alors sur les lieux, accompagné des CRS. « Deux heures plus tard, on en avait envoyé 200 à l’hosto », se vante-t-il dans un portrait signé Libération en 2017.

Après négociation, pourtant, Marcel Campion obtient satisfaction : trente-trois ans après, la fête foraine des Tuileries est toujours organisée chaque année et reste la dernière intra-muros de Paris. Autre grand coup réalisé dans la capitale : l’installation, en 1993, de la grande roue sans l’accord de la Ville de Paris dirigée alors par Jacques Chirac. Aujourd’hui, Marcel Campion organise également la Foire du Trône, dans le bois de Vincennes et la fête à Neu-Neu, dans le bois de Boulogne.

Crispations

Marcel Campion, à Paris, le 8 novembre 2017. / BENOIT TESSIER / REUTERS

Parallèlement aux victoires, Marcel Campion a aussi affaire avec les tribunaux. En juin 2010, il est condamné à 3 000 euros d’amende et deux mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris pour outrage envers deux fonctionnaires. Au cours d’un contrôle de l’Urssaf sur le marché de Noël à Paris, que M. Campion dirigeait également, le forain avait promis à un des agents de l’accrocher « à un croc de boucher » alors que le contrôle avait permis d’identifier seize personnes travaillant au noir.

Depuis l’arrivée d’Anne Hidalgo à la tête de la Mairie de Paris, « l’empire Campion » chancelle de plus en plus. « En 2014, j’ai fait partie du comité de soutien » de la candidate socialiste, explique pourtant l’homme d’affaires dans Le Parisien. Deux sujets ont crispé les relations entre M. Campion et la municipalité : le marché de Noël organisé sur les Champs-Elysées et la grande roue de la place de la Concorde.

Fin du marché de Noël…

Tout commence avec la volonté de l’édile socialiste de mettre fin au marché de Noël, lui aussi mis en place par le forain en 2008. En juillet 2017, le Conseil de Paris vote à l’unanimité la non-reconduction d’une convention d’occupation renouvelée en 2015 avec M. Campion. Pour justifier cette décision, la Mairie de Paris met en avant « la qualité médiocre des animations et des produits vendus ».

Pour l’édition 2018, l’entrepreneur pensait avoir trouvé une solution en obtenant le feu vert du musée du Louvre – qui appartient à l’Etat –, pour installer son marché de Noël au jardin des Tuileries. Mais la publication de la vidéo dimanche pourrait mettre à mal ce projet. « Les propos ignominieux tenus par M. Campion doivent évidemment être condamnés, a confié au Monde la ministre de la culture, Françoise Nyssen, lundi. Mais au-delà, ces mots qui tombent sous le coup de la loi nous interrogent sur la pertinence de confier à celui qui les a proférés l’occupation d’un espace public et d’un haut lieu de la culture. »

… et de la grande roue

Autre sujet de tension entre la Ville et le forain : le dossier compliqué de la célèbre grande roue, située, jusqu’en mai, place de la Concorde. En novembre 2017, le Conseil de Paris a en effet voté le non-renouvellement de la convention d’occupation du domaine public pour l’attraction. Cette décision est justifiée par la municipalité par le « caractère patrimonial exceptionnel » de la place de la Concorde et de la « perspective visuelle historique » entre le Louvre et l’arc de Triomphe, qu’elle veut « préserver et mettre en valeur ».

Parallèlement, la justice s’intéresse aux conditions d’attributions, en 2015 par la Ville de Paris, de l’emplacement de ce manège très prisé des touristes. M. Campion a en effet été mis en examen en mai 2017 pour recel de favoritisme et abus de biens sociaux à hauteur de 75 000 euros, puis en novembre de la même année pour favoritisme par le juge financier Renaud Van Ruymbeke. Dans cette affaire, la Ville de Paris a également été mise en examen pour favoritisme.

Mouvement politique

La rancœur est désormais tenace entre Mme Hidalgo et M. Campion. Ce dernier envisageait de présenter un candidat dans la capitale aux élections municipales en 2020 pour gêner la socialiste. Pour cela, il a créé un mouvement politique il y a quelques mois intitulé Paris libéré, qui doit être rebaptisé Libérons Paris, a-t-il fait savoir au Figaro cet été : « Paris était une ville enchantée. Depuis qu’elle [Anne Hidalgo] est là, c’est une ville en chantier. »

Après la sortie de la vidéo, dimanche, la maire de Paris a répliqué et a fait savoir que la ville travaillait « aux moyens de donner une suite juridique » aux propos de M. Campion.