A Paris, devant l’ambassade de Russie, le 17 septembre. / Christophe Ena / AP

Le conseil de Paris a octroyé à l’unanimité, lundi 24 septembre, le titre de citoyen d’honneur de la ville au cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, condamné en Russie à vingt ans de prison et en grève de la faim depuis 134 jours. Son dossier avait été déposé conjointement par l’écrivaine et historienne Galia Ackerman et l’association Les Nouveaux Dissidents, en pointe dans la défense du cinéaste.

« Paris est connue pour être la capitale des droits de l’homme, a déclaré avant le vote la maire de Paris, Anne Hidalgo. Nous avons la responsabilité de promouvoir ces valeurs partout dans le monde. Oleg Sentsov doit être libéré. » Chose rare, la proposition a été adoptée à l’unanimité, recueillant les suffrages de l’opposition de droite et jusqu’aux élus du groupe communiste-Front de Gauche.

« La droite a été très ferme et sans ambiguïté, relate le philosophe Michel Eltchaninoff, président des Nouveaux Dissidents et présent en tribunes. Quant aux communistes et à La France insoumise, ils ont pris le soin de préciser qu’au-delà de la question de l’annexion de la Crimée, le caractère illégitime de la détention de Sentsov ne faisait pas de doute. »

« Nous pouvons encore le sauver »

En théorie, ce statut purement honorifique n’est décerné qu’une fois par an, et la mairie de Paris l’avait accordé au mois de juin à Nabil Rajab, militant bahreïni emprisonné et secrétaire général adjoint de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Mais face à l’urgence de la situation d’Oleg Sentsov, entorse a été faite à cette règle.

Cette urgence, alors que l’état de santé du cinéaste continue de se dégrader, a été rappelée par Anne Hidalgo. « Nous pouvons encore le sauver », a-t-elle toutefois assuré, qualifiant le vote de son conseil municipal d’« acte d’espoir ». Depuis le 31 juillet, la photo du réalisateur, qui s’était opposé à l’annexion de la Crimée et a été condamné en Russie pour « terrorisme » et « trafic d’armes » s’affiche dans les locaux de la mairie de Paris et sur le parvis de celles des 4e et 10e arrondissements.

Oleg Sentsov, qui est détenu dans une colonie pénitentiaire du Grand Nord, ne mène pas une grève de la faim « totale ». Il boit 3,5 litres d’eau par jour et a accepté depuis début août de prendre deux à trois cuillères quotidiennes de substituts alimentaires, pour éviter que l’administration pénitentiaire le nourrisse de force à l’aide d’une sonde. Les informations quant à sa santé sont parcellaires, mais celles données par son avocat mi-août faisaient état d’une perte de poids de 30 kg et de divers problèmes potentiellement irréversibles.

« Parodie de justice »

Né en Crimée, il avait refusé d’adopter la nationalité russe après l’annexion de la péninsule, en 2014, mais Moscou a décidé de lui enlever « automatiquement » sa citoyenneté ukrainienne, excluant ainsi l’hypothèse d’un échange de prisonniers présentée par Kiev.

Le cinéaste a débuté sa grève de la faim mi-mai pour réclamer la libération des quelque 70 Ukrainiens détenus en Russie pour des raisons politiques, dont son coaccusé Oleksandr Koltchenko. A l’issue d’un procès qualifié par Amnesty International de « parodie de justice » évoquant « l’ère stalinienne », les deux hommes, arrêtés en mai 2014, avaient été condamnés, le 25 août 2015, à respectivement vingt et dix ans de colonie pénitentiaire pour « participation » à une entreprise « terroriste ».

Oleg Sentsov et son complice auraient envoyé deux cocktails Molotov contre les locaux d’une organisation criméenne prorusse. La sévérité des peines, pour de tels faits, a surpris jusqu’aux observateurs russes. Surtout, aucune preuve solide n’a été présentée lors du procès, et l’accusation s’est uniquement appuyée sur les déclarations de deux autres coaccusés. L’un d’eux avait expliqué à l’audience avoir signé des aveux sous la torture ; l’autre a refusé de témoigner. MM. Sentsov et Koltchenko ont eux aussi évoqué des tortures.

Grève de la faim « tournante »

La France s’est montrée particulièrement active dans sa défense, notamment à l’initiative de l’association Les Nouveaux Dissidents. Depuis le 14 septembre, elle a lancé en coopération avec la Société des réalisateurs de films une grève de la faim « tournante » devant l’ambassade de Russie à Paris. Samedi soir, elle a également projeté en plein air, toujours devant l’ambassade, le film Gamer, réalisé par Oleg Sentsov. Parallèlement, nombre de personnalités de la culture, en France et ailleurs, ont multiplié les appels à sa libération.

Côté diplomatique, Emmanuel Macron a évoqué à plusieurs reprises le sujet avec son homologue russe Vladimir Poutine. Le 10 août, le président français avait demandé à M. Poutine qu’une équipe de médecins indépendants ait accès au prisonnier. L’administration russe n’a pas accédé à cette requête et continue d’assurer que l’état de santé de M. Sentsov reste satisfaisant.