France 2, mardi 25 septembre à 21 heures, série documentaire

En 1889, la France pavoise. Elle vient de construire à l’occasion de l’Exposition universelle l’édifice le plus haut du monde : la tour Eiffel, araignée de métal appelée à porter l’âme de la République. La veille de l’inauguration, un ouvrier, Angelo Scagliotti, fait une chute mortelle. Mais rien ne doit venir gâcher la fête : l’affaire est étouffée, le nom de cet immigré italien est oublié.

En 1889, on célèbre aussi le centenaire de la révolution française. La IIIe République, qui veut construire une véritable nation, a décidé en 1880 de faire du 14-Juillet la fête nationale. Après le double traumatisme de la défaite face à l’Allemagne et de la Commune de Paris en 1871, les républicains forgent l’idée de la nation française : dans chaque village, dans chaque quartier, à l’école comme sous le drapeau, tout le monde doit se sentir français, y compris les enfants d’immigrés. En effet, en 1889 également, les républicains instituent le droit du sol : les enfants nés en France de parents étrangers ont le droit de réclamer la nationalité française à leur majorité.

Petits morceaux de mémoire familiale

C’est parce que 1889 résume si bien le projet républicain, à la fois positiviste et productiviste, que Françoise Davisse et Carl Aderhold ont choisi cette année comme point de départ de leur Histoire d’une nation. Cette série documentaire raconte, le temps de deux soirées, en quatre épisodes, comment, au cours des cent cinquante dernières années, la République a accueilli les étrangers à certains moments, leur a refusé l’entrée à d’autres, quand elle ne les a pas internés ou expulsés.

Au centre de ce récit chronologique narré par Roschdy Zem : l’expérience de l’assimilation, puis de l’intégration, par l’école et le travail, mais aussi la lutte pour l’égalité et les révoltes contre les discriminations. Ce documentaire se compose également de petits morceaux de mémoire familiale. La parole est donnée aux enfants, petits-enfants, arrière-petit-enfant d’immigrés, dont Michel Drucker, Jean et Youri Djorkaeff, José Garcia et Amel Bent. Photos de famille en main, ils racontent la misère et la gloire de ces pères venus d’Italie, de Pologne, de Russie, d’Arménie, du Maroc ou du Cambodge, pour épauler la France en guerre, mais aussi pour la reconstruire, en se chargeant des travaux pénibles et sales que les Français ne voulaient pas faire.

Sans l’afflux des métallurgistes italiens, des mineurs polonais et marocains, des ouvriers algériens et portugais du bâtiment, la France ne serait pas un pays industriel

Guidé par le souci de construire un récit national dans lequel « tout le monde trouve sa place », ce film montre comment la nation française s’est réinventée et s’est enrichie grâce à ces différentes générations d’immigrés. Les auteurs partagent les pistes de réflexion développées par l’historien Gérard Noiriel dans Le Creuset français. Histoire de l’immigration. XIXe-XXe siècles (Seuil, 1989) : sans l’afflux des métallurgistes italiens, des mineurs polonais et marocains, des ouvriers algériens et portugais du bâtiment, la France ne serait pas un pays industriel. Et de partager cette évidence qui n’en fut pas toujours une : les immigrés aussi font l’histoire.

Permanence de la stigmatisation

Mais ce qui frappe, c’est la permanence de la stigmatisation. Les périodes xénophobes sur fond de crises économiques et sociales se répètent. A Aigues-Mortes (Gard), près de 150 ouvriers italiens sont massacrés en 1893. Dans les années 1930, près de 500 000 étrangers, dont de nombreux Polonais, sont expulsés. Pendant la seconde guerre mondiale, des milliers de juifs et d’Espagnols sont internés dans des camps, notamment à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). Déjà victimes d’un racisme colonial, les Maghrébins et les Africains, sont, pour leur part, sujets aux violences verbales et physiques, depuis qu’ils se sont établis dans l’Hexagone.

La force du film réside dans le choix de donner chair à ces histoires. En les rétablissant dans leur épaisseur émotionnelle, il parvient à montrer comment les enjeux changent d’une génération à l’autre. Si nombre d’ouvriers immigrés ont courbé l’échine, leurs enfants s’élèvent contre les discours stigmatisants. Le comédien Ramzy Bédia résume très bien le sentiment d’injustice que la génération des fils et des filles d’immigrés maghrébins nés en France a ressenti face à l’injonction à l’intégration.

S’interrogeant sur la capacité de la République à tenir « ses promesses » et à rester fidèle à son projet d’égalité, le film ne s’intéresse en revanche pas aux rapports entre différents groupes d’immigrés. A aucun moment les tensions entre vieux immigrés, jugés bons, et nouveaux immigrés, considérés comme suspects, ne sont prises en considération – et les Roms sont les grands absents de ce film.

Egalement problématique : alors que dans les trois premiers épisodes, le film s’était appliqué à croiser destins d’immigrés, récit national et histoire mondiale, il passe sous silence dans la dernière ligne droite les attaques du 11 septembre 2001, ainsi que les deux vagues d’attentats terroristes sur le sol français en 1995-1996 et 2012-2016. Sous prétexte de ne pas montrer ce qui pourrait diviser, il se complaît dans le roman familial, offrant un regard incomplet, sinon éloigné du réel.

Histoires d’une nation, de Françoise Davisse et Carl Aderhold, réalisé par Yann Coquart (France, 2018, 4 × 55 min).