Le pape François, lors d’une visite à Riga, le 24 septembre / MAX ROSSI / REUTERS

Editorial du « Monde ». Les chiffres sont accablants. En Allemagne, 3 677 mineurs ont été agressés sexuellement par des clercs de l’Eglise catholique entre 1946 et 2014. En Australie, 4 444 cas d’abus ont été identifiés entre 1980 et 2015. Aux Etats-Unis, pendant cinq ou six décennies, plus d’un millier d’enfants et d’adolescents ont été victimes de violences commises par des prêtres. Des scandales de même nature ont été révélés en Irlande ou encore au Chili, avec à chaque fois des évêques qui ont fait écran entre les agresseurs et la justice civile, et même maintenu des prédateurs au contact d’enfants.

La France n’est pas davantage épargnée : des faits d’abus sexuels, tantôt anciens, tantôt récents, surgissent régulièrement. Le mal de la pédophilie, couvert par une intolérable conspiration du silence, ronge l’Eglise. « Abus sexuels, état d’urgence dans l’Eglise », a titré le quotidien La Croix le 13 septembre.

Le pape François, qui depuis son élection en 2013 a toujours pris la défense des plus faibles, ne semble pas avoir pris conscience de l’ampleur de ce tsunami qui ébranle les fondements mêmes de son Eglise. Après son désastreux voyage au Chili, en janvier, où il avait soutenu un évêque accusé d’avoir protégé un prêtre soupçonné d’agressions sexuelles sur mineurs, le pontife argentin avait reconnu « avoir commis de graves erreurs d’appréciation et de perception ». Il avait fait part de sa « douleur » et de sa « honte ». Et il avait même dénoncé une « perversion » ecclésiale. Une sorte d’aveu d’impuissance, comme si l’Eglise admettait qu’elle n’avait rien entrepris contre les fautifs ou que les mécanismes de prévention ou d’alerte qu’elle prétendait avoir mis en place avaient été inefficaces.

« Tolérance zéro »

Les paroles de contrition ne suffisent plus. Il faut des actes forts. Des pistes qui avaient été suggérées par une commission créée par le pape, comme la création d’un tribunal chargé de juger les évêques défaillants ou l’abolition du délai de prescription, sont restées sans suite. En mai 2011, sous le pontificat de Benoît XVI, une circulaire de la Congrégation pour la doctrine de la foi avait pourtant considéré que, « en matière d’abus sexuel, il s’agit de s’en remettre à la justice des Etats ».

La « tolérance zéro » prônée par François suppose de mettre fin au culte du secret et aux abus de pouvoir. Elle suppose également de lever le secret pontifical, inscrit dans le droit canon qui régit la confidentialité en cas de violences sexuelles à l’encontre des enfants et des personnes vulnérables. Les évêques américains avaient obtenu, en 2002, une exception à cette règle, afin de signaler les faits d’agressions sexuelles aux autorités civiles.

L’expérience de plusieurs pays, en Australie ou encore en Irlande, montre que l’intervention de l’Etat, sous la pression de l’opinion publique, a souvent été salutaire pour obtenir un état des lieux sur les actes de pédophilie. Aux Etats-Unis, un procureur a conduit l’enquête en Pennsylvanie.

En France, le nouvel archevêque de Reims, Eric de Moulins-Beaufort, a réclamé un « vrai rapport complet, en se faisant aider pour cela par des personnes extérieures ». Pour l’association La Parole libérée, qui regroupe des parents de victimes, seul l’Etat a les moyens de procéder à un tel audit. En novembre, pour la première fois, lors de leur assemblée bisannuelle, les évêques de France entendront les victimes d’abus. Devant l’ampleur du scandale, l’Etat ne peut plus se voiler la face.