Six femmes pour l’assassin fut longtemps une sorte d’Arlésienne de l’édition DVD française. Déjà sorti dans plusieurs autres pays, il était particulièrement attendu par ceux qui en ont fait un film-culte, à défaut d’une expression plus appropriée et moins passe-partout. Cette lacune, Studio Canal vient de la combler en proposant un DVD Blu-ray dans le cadre d’une nouvelle collection, « Make My Day ! », dirigée par le critique de cinéma Jean-Baptiste Thoret.

On peut dire que le film de Mario Bava présente la paradoxale qualité de s’inscrire dans un mouvement historique du cinéma, ouvrant la voie d’un devenir de la production transalpine, tout en irradiant de la qualité singulière d’un chef-d’œuvre qui ne saurait être réduit à aucune catégorie sinon celle de la vision farouche d’un artiste solitaire ne parvenant à s’exprimer qu’au cœur d’un système artisanal. Celui de ce cinéma populaire et post-hollywoodien composé des thrillers et bandes d’épouvante produits en Italie au début des années 1960.

Ancien directeur de la photographie, génial bricoleur d’effets spéciaux, Bava réalise le film en 1964, après avoir rendu pos­sible l’existence d’un cinéma ­gothique italien grâce au succès du Masque du démon, en 1960, et, surtout, du Corps et le fouet, rêverie nécrophile et sadomasochiste réalisée en 1963. Production franco-germano-italienne, Six femmes pour l’assassin s’inspire, à première vue, pour ce goût des meurtres violents et des atmosphères macabres, tout autant du Psychose, d’Alfred Hitchcock que des pataudes bandes poli­cières d’outre-Rhin de l’époque, les fameux Krimis, qui rencontraient un certain succès dans les salles de quartier.

Rituel morbide

Le cinéaste va pourtant s’émanciper de cette généalogie par plusieurs moyens. D’abord un usage de la couleur particulier, volontiers irréaliste et envoûtant, qui donne à celle-ci un rôle central, structurant. Bava inverse avec génie la proposition de Godard qui, parlant de la violence dans Week-end, avait dit : « Ce n’est pas du sang, c’est du rouge. » Dans le film de Bava, le rouge est véritablement du sang, celui de l’œuvre elle-même et de l’univers qu’elle engendre sous nos yeux. Le rouge y est le sang d’une image devenue matière vivante, entité organique soumise à la corruption et au pourrissement. Une des nombreuses victimes de l’assassin sans visage est, exemplairement, égorgée au rasoir dans une baignoire, le sang envahit le plan, brouillant l’eau et effaçant un visage aux yeux écarquillés de stupeur.

Six jeunes femmes, toutes liées à une maison de couture romaine, sont cruellement assassinées par un mystérieux tueur. L’enquête policière met à nu la turpitude de tout un petit monde qui gravitait autour de l’endroit, sans parvenir à démasquer le meurtrier. Un journal intime semble être au cœur du mystère. En insistant davantage sur la mise en scène des meurtres, le film de Bava allait ouvrir la voie à un type particulier de thriller (le fameux giallo) qui allait véritablement éclore quelques années plus tard.

Le film fut le précoce précurseur d’un genre tout entier concentré sur une mise en scène de la peur

D’une certaine façon, le film fut le précoce précurseur d’un genre tout entier concentré sur une mise en scène de la peur. Le récit débute par un générique mêlant les protagonistes du film aux mannequins d’osier et de plastiques meublant leur univers. La silhouette humaine y est vouée à un devenir inanimé, et les poupées menacent de prendre vie comme dans un conte d’Hoffmann. Les six femmes assassinées sont soumises à la brutalité d’une pure et abstraite puissance de mort, renvoyant méthodiquement chacune d’entre elles au néant.

Six femmes pour l’assassin ne se distingue pas seulement par une brutalité inhabituelle en son temps, par l’attention toute particulière portée aux meurtres violents (strangulation, égorgement, défiguration par brûlure) et à leur rituel morbide (tueur masqué vêtu de noir, assassinat à l’aide d’une arme médiévale ou à l’arme blanche), au détriment de l’enquête policière et d’une causalité réductible à la seule avidité ­humaine. Il déploie le motif ­hitchcockien du corpse disposal (disposer d’un cadavre) qu’il transforme en forme centrale, en dispositif pur. Les corps sans vie sont traînés, tirés, cachés, déplacés par le meurtrier qui s’active dans une sinistre manutention macabre. L’humain est renvoyé à sa stricte condition d’objet, à son destin.

6 femmes pour l'assassin (1964) Bande annonce française
Durée : 03:14

Film italien de Mario Bava (1964). Avec Cameron Mitchell, Eva Bartok, Thomas Reiner (1 h 28). 1 DVD/Blu-ray Studio Canal, ­ coll. « Make My Day ! ». Sur le Web : www.lacinetek.com/fr/tous-les-films/3577-6-femmes-pour-l-assassin-vod.html