En 2050, plus de 40 % des gens extrêmement pauvres, soit ceux vivant avec moins de 1,90 dollar par jour, seront recensés dans seulement deux pays : la République démocratique du Congo et le Nigeria. Et 65 % de l’extrême pauvreté dans le monde se concentrera dans dix pays, tous situés en Afrique, dont la population devrait doubler d’ici à trente ans. Ces projections alarmantes sont tirées du rapport de la Fondation Bill et Melinda Gates (partenaire du Monde Afrique) publié en prélude de la deuxième édition des Goalkeepers (« gardiens de but »), projet qui doit dresser chaque année jusqu’à 2030 un bilan d’étape des dix-sept objectifs de développement durable (ODD) fixés il y a trois ans par l’ONU.

Comment y remédier ? « Investir dans le capital humain de l’Afrique » et « créer des opportunités pour les jeunes issus de pays pauvres et à forte croissance démographique », répond le milliardaire et philanthrope Bill Gates, lors de la cérémonie des Goalkeepers, mercredi 26 septembre à New York. « Si les investissements sont faits dans la bonne direction […], ces jeunes seront capables de contribuer pleinement à la croissance économique », puis « à une baisse de la croissance démographique », espère M. Gates, craignant que les fragiles progrès de l’Afrique ne soient mis en danger par l’augmentation continue de la population.

Face à lui, dans la salle comble du Jazz at Lincoln Center, plusieurs dizaines de « jeunes leaders » – les « goalkeepers » – ont fait le chemin jusqu’à New York depuis plus de cinquante pays pour appeler les décideurs à tenir leurs engagements en matière de développement. « Car nous, nous tenons les nôtres. Mais nous avons besoin de soutien, aussi bien financier que politique », souligne la militante malawite Ellen Chilemba. Comme Dysmus Kiselu, Jaha Dukureh et Brian Turyabagye, elle incarne pleinement cette jeunesse africaine talentueuse, engagée dans les progrès du continent. Tous ont un point commun : « On ne s’apitoie jamais sur notre sort d’Africains, on avance, toujours », résume Ellen Chilemba.

  • Jaha Dukureh, la bataille gagnée contre l’excision

Jaha Dukureh sait qu’elle n’a gagné qu’une bataille, mais « la guerre est lancée et d’ici à 2020, croyez-moi, on l’aura gagnée ». Fin 2015, la Gambie a voté une loi interdisant les mutilations génitales féminines, une pratique largement répandue dans ce petit pays enclavé dans le Sénégal. « J’ai suivi le président qui était alors en campagne et j’ai bataillé nuit et jour pour faire entendre notre voix jusqu’à ce que ça marche, raconte la militante. Au début, je n’y ai pas cru, c’était tellement beau ! Puis j’ai décidé de faire en sorte que tous les pays d’Afrique bannissent cette pratique d’ici à 2020. »

La jeune femme de 27 ans, élue l’une des femmes les plus influentes du monde par le magazine Time en 2016, a créé l’ONG Safe Hands for Girls pour lutter contre ces violences qui concernent plus de 200 millions de femmes dans le monde, la plupart sur le continent africain. A commencer par elle. Excisée à la naissance, victime d’un mariage forcé aux Etats-Unis quinze ans plus tard, Jaha Dukureh est retournée cette année dans son pays, d’où elle milite pour les droits des femmes sur tout le continent. « Il faut toujours se battre contre les mentalités et les traditions sur le terrain, mais au moins nous avons posé un cadre législatif et ça, c’est très important. » En avril 2019, Jaha Dukureh doit se rendre au Sénégal pour organiser le premier sommet sur les mutilations génitales féminines. « Bien sûr, après cet événement, nous attendons que le gouvernement sénégalais interdise l’excision », dit-elle, toujours déterminée.

  • Dysmus Kisilu, introduire les énergies renouvelables sur le continent

Il n’a que 25 ans mais peut déjà se prévaloir d’une longue expérience de terrain dans son pays, le Kenya. Sa tête bien faite et ses innombrables idées lui ont valu une série de prix à faire rougir ses anciens camarades de l’Université de Californie. Son domaine d’activité ? L’agriculture. « Aucun jeune Kényan ne veut devenir agriculteur. A l’école, les professeurs nous disaient même que si on travaillait mal, on allait finir agriculteur. Pourtant, c’est un secteur clé dans le développement économique de notre pays ! »

Dysmus Kisilu a vite compris que les énergies renouvelables étaient une solution pour stimuler la productivité des petits exploitants. En 2016, il fonde Solar Freeze, une entreprise qui produit des kits d’irrigation et des unités de stockage à froid pour lutter contre les pertes après récoltes, le tout alimenté grâce à l’énergie solaire. En deux ans, le jeune Kényan a fourni plus de 3 000 agricultrices dans l’est du pays. « L’idée n’est pas seulement d’augmenter les rendements, mais aussi de sensibiliser les nouvelles générations aux énergies renouvelables », précise l’entrepreneur. Son prochain projet : implanter des réfrigérateurs fonctionnant entièrement à l’énergie solaire dans le camp de réfugiés de Kakuma, dans le nord du Kenya, pour « faciliter leurs conditions de vie » et permettre aux médecins de « stocker leurs vaccins ».

  • Ellen Chilemba, sortir les femmes de l’ombre

La fille aux cheveux rouges, dreadlocks et tatouages aux bras, traîne désormais avec les grands de ce monde. A New York, la Malawite de 24 ans a participé à une table ronde aux côtés d’Emmanuel Macron et de Justin Trudeau pour son travail sur l’éducation des jeunes filles, perçu comme une « source d’inspiration » pour ces chefs d’Etat occidentaux. Celle qui a eu la chance de bénéficier d’une éducation de qualité fonde à l’âge de 17 ans Tiwale, qui signifie « brillons » en chichewa, sa langue maternelle. L’objectif est d’accompagner les femmes malawites dans l’entrepreneuriat, par le biais de microcrédits, d’ateliers et de formations. « Au Malawi, 9 % des filles seulement ont une scolarité dans le secondaire. La plupart se marient, or nous voulons faire en sorte que cela ne soit pas une fatalité », précise Ellen Chilemba.

Mais la jeune femme sait qu’elle s’attaque à un gros morceau : « Nous travaillons avec un réseau de plusieurs centaines de femmes. Chaque jour, de nouvelles femmes veulent nous rejoindre et ça me brise le cœur de ne pas pouvoir les aider car nous n’avons pas assez d’argent. Nous devons passer de la petite échelle à la grande échelle, le Malawi en a besoin. » La militante et entrepreneuse compte sur l’engagement des dirigeants occidentaux pour arriver à ses fins. « Cela permettra de mettre la pression sur les dirigeants africains, espère-t-elle. Ils se diront peut-être que si les Occidentaux le font pour l’Afrique, ils devraient se mobiliser pour leur propre pays… »

  • Brian Turyabagye, une veste pour sauver des vies

Tout a commencé lorsque la grand-mère de l’amie de Brian Turyabagye est tombée malade. « Ils lui ont diagnostiqué un paludisme et lui ont donné les médicaments, mais ça empirait chaque jour », se souvient l’Ougandais de 25 ans. A la mort de la vieille dame, les deux amis apprennent qu’il s’agissait d’une pneumonie. Avec des symptômes semblables, la confusion est courante. « C’est stupide, ça se soigne si facilement. Mais en Ouganda, on peine à diagnostiquer cette maladie. » La pneumonie tue chaque année un demi-million d’enfants de moins de 5 ans en Afrique subsaharienne, selon l’Unicef.

Alors étudiant en ingénierie, Brian Turyabagye décide de se lancer avec quatre amis dans la conception d’un outil facilitant le diagnostic. Ainsi est née en 2014 MamaOpe, une veste biomédicale qui permet de détecter les symptômes de la pneumonie jusqu’à quatre fois plus vite qu’un médecin grâce à des capteurs implantés analysant la respiration, les sons des poumons et la température du malade. Grâce à l’application qui l’accompagne, les données sont traitées en quelques minutes et des recommandations sont ensuite émises. « Nous sommes heureux de pouvoir sauver des vies », se réjouit le jeune homme, qui dit travailler sur un nouveau projet de nature à révolutionner la prise en charge des maladies sur le continent.