Le 21 octobre 2016, après le déraillement d’un train à Eseka, dans le centre du Cameroun. / STRINGER / AFP

Il est 11 h 38, mercredi 26 septembre au tribunal de première instance d’Eseka, petite commune située entre Douala et Yaoundé et dont le nom est désormais attaché à la catastrophe ferroviaire qui avait fait, selon le bilan officiel, 79 morts et plus de 600 blessés le 21 octobre 2016. A peine assis sur son siège, le juge Marcel Ndigui Ndigui prononce son verdict.

Cameroon Railways (Camrail), entreprise contrôlée à hauteur de 77,4 % par le groupe français Bolloré, ainsi que onze de ses anciens et actuels employés sont reconnus coupables d’« homicide involontaire » et d’« activités dangereuses ». Trois prévenus sont en revanche acquittés.

« Un jour historique »

Deux ans après l’accident ferroviaire le plus meurtrier survenu au Cameroun et un an après l’ouverture de ce procès, les avocats des ayants droit et des rescapés du déraillement du train Intercity 152, qui dénonçaient régulièrement l’« attitude dilatoire » du groupe Bolloré, peuvent enfin exprimer leur joie.

« C’est un jour historique. Après le temps des pleurs, il est temps d’espérer », réagit, ému, Me Massi Ngakele, l’un des représentants des victimes. Un autre, Me Guy Alain Tougoua, loue le juge pour sa décision « courageuse » et lui demande d’accorder aux victimes 152 milliards de francs CFA (près de 232 millions d’euros) d’indemnités.

« Nous sommes malheureux parce que la société Camrail est déclarée civilement responsable, réagit pour sa part Me Emmanuel Massoda, l’un des avocats de la compagnie ferroviaire. Nous sommes malheureux parce que nous avons souhaité dès le départ que l’opinion camerounaise et internationale soit édifiée sur les causes de l’accident survenu à Eseka. » Le 23 mai 2017, la commission d’enquête formée par les autorités au lendemain du déraillement avait conclu à « la responsabilité, à titre principal, du transporteur, la société Camrail ».

Un autre avocat de l’entreprise, Me Serge Zangue, dresse l’état du processus d’indemnisation, qui aura été, selon lui, « l’un des plus crédibles au monde » : ce « processus […] est dans une phase quasi terminale », plaide-t-il, sous les rires de ses confrères des parties civiles.

Dans le box des prévenus, seul l’actuel directeur général de la société, Pascal Miny, est présent. Les quatorze autres accusés, dont les noms sont affichés sur le mur extérieur de la salle d’audience, sont absents. Au moins deux d’entre eux – dont Mathias Lewis Yedna, le conducteur du train, sont en fuite, selon les avocats des victimes. « Il faut leur appliquer les peines les plus sévères. […] Monsieur le président, vous avez tous les moyens de les rattraper », assure Me Tougoua, avant de retourner s’asseoir.

Mandat d’arrêt

Après plusieurs heures de suspension, le juge prononce finalement les peines aux environs de 19 heures. Elles vont de trois mois de prison avec sursis à cinq ans d’emprisonnement ferme. Didier Vandenbon, l’ancien directeur général de la société, est condamné à six mois de prison avec sursis et à une amende de 600 000 francs CFA.

Cinq ans et trois ans d’emprisonnement sont prononcés respectivement à l’encontre de Mathias Yedna, le conducteur du train, et Fru Valentine, le chef de la sécurité de Camrail à Yaoundé à l’époque du drame. Un mandat d’arrêt est lancé contre eux. La compagnie ferroviaire est condamnée à payer une amende de 500 000 francs CFA.

Si les conseils des victimes se réjouissent de ces condamnations, ils se disent unanimement insatisfaits des indemnisations – même s’ils réclamaient des montants très différents, entre 2 et 152 milliards de francs CFA. « Nous pensons que ce juge a manqué de courage », maugrée Me Guy Olivier Moteng, quand son confrère Guy Alain Tougoua promet qu’il va « s’opposer à cette décision » afin d’obtenir « les 152 milliards que nous réclamons pour nos victimes ». Les avocats de Camrail ont quant à eux annoncé qu’ils allaient faire appel du jugement.

Blessée à la jambe et aux deux bras lors du déraillement et encore victime aujourd’hui « d’atroces cauchemars », Céline a « trop crié » de joie lorsqu’elle a appris, depuis Douala, la capitale économique, la condamnation de Camrail. « Je ne pensais pas que le puissant Bolloré pouvait être condamné, s’étonne la jeune femme, jointe par téléphone. Maintenant, je pense que ces grosses entreprises doivent comprendre que la vie des pauvres gens comme nous est aussi importante. »