Toute l’histoire, jeudi 27 septembre à 20 h 50, documentaire

Même abattu ou pendu devant une caméra, un dictateur ne meurt jamais totalement. Lorsque l’on a été au pouvoir durant de longues années, les souvenirs – des exactions notamment – demeurent. Si la tombe est localisée, le danger de voir les disciples venir s’y recueillir existe. La mort du tyran n’apporte pas réparation aux victimes, ne pacifie pas forcément la société civile. Alors, que faire du corps ? Comment éviter que les éventuelles démocraties qui succèdent à la dictature se débarrassent de cet héritage empoisonné ?

Ce documentaire inédit se penche avec sérieux sur la question. Longuement interrogés, les historiens Didier Musiedlak, Johann Chapoutot, Sabine Dullin et la juriste Sévane Garibian proposent des éclairages bienvenus selon les cas présentés. Car post mortem, tous les dictateurs ne se valent pas. Il y a ceux qui ont été vénérés plus ou moins longtemps après leur disparition (Lénine, Staline, Mao, Kim Jong-il). Ceux dont les restes ont été délibérément cachés ou dispersés (Hitler, Ceaucescu, Kadhafi). Ceux dont la postérité a été contrariée (Mobutu, Pinochet, Videla). Et, enfin, ceux dont les cas ont été « mal gérés » (Mussolini, Pétain, Franco, Saddam Hussein).

Des points de fixation

Fusillé à l’abri des regards mais lynché puis pendu par les pieds face aux caméras sur une place milanaise, Benito Mussolini est un cas intéressant. Le dictateur fasciste, qui régna sur l’Italie près d’un quart de siècle, est encore très présent des décennies plus tard dans la mémoire collective. « Pour beaucoup d’Italiens, le fascisme évoque la belle époque : celle de la puissance militaire, de l’empire colonial, de la ponctualité des trains », rappelle l’un des historiens. Conscientes des risques, les autorités cachèrent l’endroit où le Duce avait été enterré jusqu’en 1957. Une fois sa dépouille rapatriée dans la crypte de la chapelle familiale située dans le village de Predappio, le lieu est devenu très visité. On estime à environ 100 000 le nombre de visiteurs annuels, pour la plupart nostalgiques du fascisme.

Pour éviter de tels points de fixation, l’exil est une solution. Mort au Maroc en 1997, Mobutu, le sanguinaire dictateur du Zaïre, est enterré loin de chez lui et il est hors de question que sa dépouille revienne au pays. Postérité également contrariée pour les militaires dictateurs sud-américains : le chilien Pinochet a été incinéré, sa veuve craignant que sa tombe ne soit vandalisée. L’Argentin Videla, lui, n’a pu être enterré dans son village natal, les habitants s’y étant fermement opposés.

Le cas de Franco

Cas délicat à gérer, celui de Francisco Franco (1892-1975). L’immense mausolée que le Caudillo avait fait construire à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Madrid pour y reposer est rapidement devenu un lieu de pèlerinage avec messes solennelles et rassemblements de nostalgiques. Ambiguïté de l’héritage franquiste, ce bâtiment gigantesque se veut officiellement « lieu de réconciliation nationale », d’où la présence de tombes de militants franquistes mais aussi de républicains.

En juin, le nouveau gouvernement socialiste a décidé de retirer les restes du dictateur et de les transporter au cimetière familial privé, situé près de Madrid. Mais la puissante fondation Franco, dirigée par Carmen, la fille du dictateur, s’y oppose fermement. « Il règne autour des dictateurs un sentiment d’éternité, une négation de la mort. Les démocraties qui lui succèdent doivent se battre contre cet héritage empoisonné et rester vigilantes devant une menace jamais totalement éteinte », résume un historien.

Le Corps du dictateur, de José Bourgarel (Fr., 2017, 55 min).