Une grande disparité existe entre les filières en termes d’embauche et de financement des thèses, les scientifiques étant plus courtisés que les chercheurs en sciences humaines et sociales. / SEAN PRIOR / WAVEBREAK MEDIA / Photononstop

La finale internationale de « Ma thèse en 180 secondes » a lieu jeudi 27 septembre à Lausanne, en Suisse, au cours de laquelle des doctorants francophones présenteront leur recherche à un public profane. Entretien à cette occasion avec Alexandre Matic, représentant de la Confédération des jeunes chercheurs, qui regroupe quarante associations de doctorants.

En quoi l’événement « Ma thèse en 180 secondes » est-il le signe d’une évolution du rapport des doctorants avec le grand public ?

Alexandre Matic : Il participe de l’enjeu de vulgarisation de la recherche. C’est une évolution positive que l’on observe depuis quelques années et que les jeunes chercheurs ont bien intégrée. Ils ne veulent plus être assimilés à des rats de laboratoire et sont aujourd’hui habitués à devoir partager leurs recherches, ne serait-ce qu’avec leurs pairs. C’est ce que démontre, dans le domaine scientifique, l’ampleur que prend le mouvement open science (partage et diffusion des données de recherche). Diverses initiatives, comme « Ma thèse en 180 secondes » ou la Nuit européenne des chercheurs, qui aura lieu vendredi 28 septembre, permettent ainsi à l’ensemble de la société, très curieuse et demandeuse, de se tenir au courant des avancées de la recherche. C’est aussi un moment d’échange qui peut être profitable au chercheur lui-même : obtenir des retours, même par des personnes qui ne connaissent rien à la problématique, permet de soulever de nouveaux enjeux.

Quelle est la situation des doctorants français en 2018 ?

La précarité des jeunes chercheurs est alarmante. Sur les près de 12 000 doctorants inscrits en première année pour la rentrée 2016, 30 % se trouvaient sans financement pour leur thèse. Ils sont donc contraints de travailler à côté, souvent en tant que vacataires dans les universités. Ces prestations sont mal payées au vu des compétences d’un doctorant : si l’on prend en compte les heures de préparation des cours, le salaire est proche du smic. Sans compter que les vacataires sont sans contrat de travail : cela en fait des « ubérisés » du secteur de l’enseignement et de la recherche.

Une situation de pauvreté qui entraîne un très fort taux d’échec

Quant à ceux qui ne trouvent aucun emploi pour payer leurs études, ils se trouvent dans une situation de pauvreté qui entraîne un très fort taux d’échec. Il est intolérable que, en 2018, la recherche ne soit pas payée à sa juste valeur. Forcément, cela entraîne une diminution du nombre de thésards français : on en compte aujourd’hui environ 70 000, contre 80 000 il y a dix ans (touchant particulièrement les filières de sciences humaines et sociales, plus sujettes au manque de financement). Nous sommes sur une pente descendante quand nos voisins, l’Allemagne par exemple, voient leur nombre de doctorants augmenter.

A l’étranger, le diplôme du doctorat est extrêmement valorisé. En France, les docteurs sont toujours en concurrence avec les diplômés de grandes écoles…

Effectivement, il existe une chasse gardée très franco-française qui consiste à réserver les postes dans le secteur privé, notamment en recherche et développement (RD), aux diplômés de grandes écoles de commerce ou d’ingénieur. En Allemagne ou aux Etats-Unis, le doctorat est valorisé en tant que tel — d’ailleurs, le docteur français est très courtisé à l’étranger. Une mentalité différente perdure en France, qui entend plutôt confiner les doctorants au secteur public : c’est se priver de talents incroyables. Le chômage des jeunes issus de doctorat s’élève, cinq ans après la sortie de l’université, à 14 % : pratiquement le double par rapport aux filières ingénieurs et grandes écoles. Quant au salaire médian des chercheurs dans le privé, il est aussi inférieur à ceux des ingénieurs et des personnes issues des grandes écoles.

Observe-t-on malgré tout une évolution dans la perception des docteurs par la société ?

Oui et il faut accompagner la valorisation naissante du diplôme de docteur. L’expérimentation, dès la session d’août 2019, d’un concours d’entrée à l’ENA [Ecole nationale d’administration] réservé aux doctorants est un bon signal : cela rappelle qu’ils sont en mesure de répondre aux profils attendus dans la fonction publique. Autre avancée : depuis mars, le doctorat figure dans le Registre national des certifications professionnelles (RNCP), par le biais de 22 fiches qui mettent en avant les compétences qu’un doctorant acquiert au cours de son cursus et dont il pourra faire profiter une entreprise. Un docteur est notamment à même de gérer des projets dans la recherche et développement, a une capacité de veille qui permet de jouer des coups stratégiques en avance et a tissé un réseau partout dans le monde : autant de compétences qui en font un atout pour le secteur privé.

Quel est l’enjeu du doctorat aujourd’hui ?

Aujourd’hui, les doctorants sont une population muette dans le cadre universitaire, car très peu, voire quasiment pas, représentée. Ils correspondent à une population à part entière – ni vraiment étudiants ni totalement personnels de l’enseignement supérieur –, qui n’est pas considérée comme telle et qui donc n’apparaît pas dans les conseils centraux, qui gèrent les universités. L’enjeu est de créer une sorte de statut d’apprenti de la recherche : nous appelons d’ailleurs de nos vœux une véritable contractualisation des jeunes doctorants. Grâce à ces contrats, ils seraient moins liés au seul bon vouloir des directeurs de thèse et seraient plus accompagnés au sein de l’université.