Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, lors d’une conférence de presse à Paris, le 23 mai. / BERTRAND GUAY / AFP

« Nous allons réaliser un changement majeur sur la façon dont nous construisons Facebook. » Il a suffi de cette phrase, publiée le 19 janvier par Mark Zuckerberg sur sa page Facebook, pour déclencher un vent de panique parmi les médias. Dans son message, le fondateur de la firme de Palo Alto (Californie) annonce alors que le fil d’actualité de Facebook – la page d’accueil où défilent les contenus proposés aux utilisateurs – fera désormais apparaître en priorité les publications des « amis », plutôt que celles des entreprises et des sites d’actualité.

Selon M. Zuckerberg, ce changement d’algorithme est devenu urgent. Les contenus des marques et des éditeurs de presse ont proliféré sur le réseau social ces dernières années, si bien que « le fil d’actualité s’est détourné de ce que Facebook fait de plus important : aider à nous connecter les uns les autres », regrette-t-il à l’époque.

Autant dire que le coup est rude pour les médias. Frappés par la chute des ventes de journaux et de magazines en kiosque, ils avaient trouvé dans les deux milliards d’utilisateurs de Facebook un vivier de lecteurs potentiels – l’objectif étant de les attirer sur leur site, et de monétiser cette audience grâce à la publicité ou aux abonnements. Une stratégie motivée par les nouvelles habitudes des lecteurs : d’après un rapport de l’Institut Reuters d’Oxford paru en juin, 41 % des Français s’informent par le biais de Facebook.

« Loin des scénarios apocalyptiques anticipés par certains »

Près de neuf mois après cette redistribution des cartes, l’affolement des éditeurs de presse était-il justifié ? Les conclusions d’une étude de l’Institut Reuters publiée jeudi 27 septembre vont plutôt dans ce sens. Les chercheurs de l’Université d’Oxford se sont penchés sur le trafic des pages Facebook de douze médias dans six pays européens (France, Finlande, Allemagne, Italie, Pologne et Royaume Uni).

Sur ce panel de médias, « l’audience générée par le réseau social a baissé de 9 % en moyenne au cours des trois mois ayant suivi le changement d’algorithme », relèvent les auteurs du rapport, tout en tempérant : « La plupart du temps, l’impact est toutefois loin des scénarios apocalyptiques anticipés par certains commentateurs. »

Reste que ces médias ne sont pas tous logés à la même enseigne. La page Facebook du Monde a vu son trafic chuter de 30 %, tandis que celle du plus grand quotidien finlandais, Helsingin Sanomat, n’a baissé que de 11 %. De façon plus surprenante, les contenus du site d’actualité italien TGCOM24 et du Times britannique ont respectivement gagné 10 % et 14 % d’interactions sur Facebook. Le résultat, selon l’étude, de leur activité accrue sur le réseau social, et moins du nouveau fil d’actualité.

Des changements imprévisibles

Les chercheurs de l’Institut Reuters peinent encore à expliquer ces disparités. Car si les répercussions de ces changements d’algorithme sont bien visibles, leur logique reste opaque, et leur survenue, imprévisible. « Le problème avec Facebook, c’est que vous ne savez pas ce qui dépend de l’algorithme et ce qui tient de vos choix éditoriaux », a ainsi expliqué le rédacteur en chef du Helsingin Sanomat aux auteurs de l’étude.

Pour réduire leur dépendance au plus grand réseau social, la plupart des médias interrogés par l’Institut Reuters ont investi d’autres plates-formes, à l’image d’Instagram, Twitter ou Snapchat, mais Facebook reste de loin le premier pourvoyeur de lecteurs. Dans ces conditions, les négociations à venir entre les éditeurs de presse et les géants du numérique s’annoncent délicates. Au lendemain de l’adoption, par le Parlement européen, de la réforme du droit d’auteur, le 12 septembre, ils devront se mettre d’accord sur la façon dont ces plates-formes rémunéreront les sites d’information pour leurs contenus.