Marine Johannes, ici face à la Grèce, est la « petite Curry du basket français ». / FIBA.com

A voir virevolter Marine Johannes sur un terrain de basket, difficile de croire qu’il s’agit de la même personne que l’on croise une fois la rencontre achevée. Quand elle joue, l’arrière de l’équipe de France féminine de basket, qui affronte la Belgique vendredi 28 septembre en quarts de finale du Mondial (18 h 30, heure française, sur Canal+ Décalé), impressionne. La balle orange semble se plier à sa volonté. Elle attire les regards par sa spontanéité. Sortie de son élément, la jeune femme de 24 ans est bien plus discrète.

Timide, Marine Johannes l’admet. « Je suis comme ça ». Mais pas introvertie. Au quotidien, elle trouve sans peine sa place dans le groupe bleu réuni à Tenerife (Espagne). Ce que confirme Endy Miyem : « C’est quelqu’un d’assez timide. Enfin, elle l’est beaucoup moins depuis qu’on a partagé pas mal de choses ensemble », relève la capitaine des Bleues, qui décrit « une artiste, sur et en dehors du terrain », aimant faire des petits dessins de temps à autre et dont « on sent le côté créatif quand elle a le ballon entre les mains. » 

Sur ce dernier point , les éloges pleuvent - un peu comme ses tirs à longue distane, à trois points. « On ne sait jamais ce qu’il va se passer, face à elle, il n’y a aucun moment de relâche car tout est possible », admire l’ancienne internationale Cathy Melain. « Elle a une capacité à faire des choses différentes des autres et un peu hors normes dans le basket féminin », poursuit l’ancienne capitaine des Bleues Yannick Souvré.

« Une petite Stephen Curry française »

Si l’on remonte l’histoire de la balle orange hexagonale, il est une joueuse dont la liberté dans le jeu évoque celle de sa lointaine héritière. Meneuse des « Demoiselles de Clermont » (au côté notamment d’Elisabeth Riffiod, dont le fils Boris Diaw est ensuite devenu capitaine des Bleus) dans les années 1970, Jacky Chazalon s’inspirait des « meilleurs joueurs du monde », les basketteurs américains - port du bandeau sur les cheveux compris.

« J’avais un jeu assez spontané et très technique », se remémore l’internationale française, surnommée par le New York Times « la poète française du basket ». Adepte d’un « basket spectacle où la beauté du geste compte beaucoup », elle reconnaît une « très belle allure et une très belle aisance balle en main » à Marine Johannes. Qui, comme elle, va chercher ses exemples du côté de la NBA.

Fortement imprégnée du basket américain, Johannes, joueuse au physique loin d’être impressionnant (1,77 mètre), y puise son inspiration. Si, à cette impression de facilité quand elle évolue balle en main, on ajoute « la vision du jeu, l’intelligence de jeu, les capacités athlétiques, l’adresse naturelle », on a « une petite Stephen Curry française », assène Cathy Malfois, ancienne star des Bleues dans les années 1980.

Cette comparaison avec le triple champion NBA, à la dextérité folle et capable de déclencher des missiles à huit mètres sans effort apparent, est souvent dressée. Comme Stephen Curry, aussi, la native de Lisieux (Normandie) rappelle aux spectateurs que le basket est d’abord un jeu.

Outre la star des Warriors, un autre joueur américain sert d’exemple à Marine Johannes. Magicien balle en main, Jason Williams a illuminé la ligue nord-américaine au début des années 2000 par sa virtuosité. « Il tente des choses assez spectaculaires, des passes aveugles, des dribbles assez spéciaux… C’est inspirant de le regarder jouer », sourit l’arrière de Bourges qui reconnaît « l’aimer beaucoup », mais « ne pas trop réfléchir aux comparaisons ».

Son jeu est plus éloquent. En début de rencontre face à la Grèce en phase de poule du Mondial, la jeune femme a tourné à sa sauce l’une des « no look pass » dont l’ancien joueur des Sacremento Kings avait le secret, mystifiant la défense grecque - et les spectateurs - pour servir sa capitaine, Endy Miyem, sur un plateau.

Une manière d’allier créativité et efficacité qui caractérise le millésime 2018 de la joueuse, qui tourne à près de dix points par match au Mondial. « Elle a gagné en maturité, salue Endy Miyem. Son style pouvait parfois être un peu brouillon, maintenant, elle se maîtrise totalement, tout en conservant cette touche de folie. »

Et l’intérieure française de se rappeler de l’époque - pas si lointaine - où les anciennes devaient aviser leur feu follet de partenaire de « faire attention au ballon. » Au plus haut niveau international, chaque possession compte, aussi la leader des Bleues ne regrette-t-elle pas l’époque où « elle voulait tester une passe dans le dos ou une passe aveugle et que ça arrivait dans les tribunes ».

« Apporter des variations dans son jeu »

Plus mature, la joueuse de Bourges depuis deux saisons n’est plus restreinte à un rôle de « machine à highlights » (coups d’éclats). En 2016, Le Monde relatait comment une action avait fait de la jeune femme la coqueluche des Jeux olympiques de Rio. Un crossover (dribble entre les jambes) laissant sur les rotules la star américaine Maya Moore, suivi d’un tir à trois points, avait placé la comète « MJ » en orbite. Et attiré les comparaisons les plus flatteuses.

Une action que l’arrière des Bleues rêve ne plus avoir à commenter, mais dont elle risque d’entendre à nouveau parler si d’aventure les Françaises franchissent le mur belge et affrontent l’armada américaine en demi-finale. « Elle a fait ça sous les yeux du monde entier en défiant les Américaines, donc elle est attendue », assure l’ancienne meneuse des Bleues Yannick Souvré.

Marine Johannes se sait attendue. Elle a évolué. Si elle reste une joueuse à la « part de créativité hors norme » - les mots sont de Souvré -, la jeune femme a pris en compte les remarques. « Depuis cette année, je la trouve bien plus prête physiquement, remarque Yannick Souvré. Elle est légère, fine, et il fallait qu’elle apprenne la dureté, parce qu’au plus haut niveau elle va se faire secouer les côtes. » Une évolution qui se voit également de l’autre côté du terrain, où Souvré estime qu’elle « a franchi un cap en défense ».

« Elle n’est plus la surprise, Marine est ciblée, abonde Valérie Garnier. Elle doit gérer la frustration, car elle est souvent touchée. Mais elle savait, que les gens essaieraient de la bousculer physiquement. A elle d’apporter des variations dans son jeu ». « Et elle est capable de faire tellement de choses qu’elle va s’adapter, et prendre ce que la défenseuse va lui offrir », salue Cathy Melain.

La joueuse, elle, accepte de canaliser son jeu tant que les Françaises poursuivent leur aventure à Tenerife. « On se fiche du scénario du match, conclut Marine Johannes. Une victoire, c’est le principal. » Qu’importe la manière, pourvu qu’il y ait l’ivresse d’une première demi-finale mondiale pour les Bleues depuis 1953.